Un collectif de 80 associations (2) publie aujourd’hui un cahier de doléances pour une nouvelle politique de l’enfance. L’un de ses porte-parole, l’universitaire Michel Chauvière, sociologue, directeur de recherche au CNRS (1) déplore que le gouvernement ne raisonne qu’en termes de résultats et de sécurité...,
 
Source La Croix. 
Le « Forum des états générEux pour l’enfance », qui regroupe des organisations très diverses, doit remettre 118 doléances au gouvernement, ayant trait aussi bien à l’accueil du jeune enfant qu’à la maltraitance ou au handicap. N’est-ce pas une initiative fourre-tout ?

Michel Chauvière : Au sein du collectif, il existe grosso modo trois cœurs de préoccupation : la petite enfance et les modes d’accueil, la protection de l’enfance et les droits internationaux. Il est vrai que les membres interviennent dans des champs variés mais tous ont le sentiment que, dans le domaine de l’enfance, le gouvernement met en exergue les problèmes sans aucun respect des professionnels et des expériences de terrain.

L’idée, c’est donc de se regrouper entre citoyens et d’interpeller le politique. À l’heure actuelle, on ne sait plus très bien ce qu’il faut faire pour être entendu… Avec ces 118 doléances, nous proposons un document écrit, donc qui reste, et nous montrons que de très nombreux acteurs de l’enfance sont inquiets.

Quel a été le déclencheur ?

Le lancement, mi-février, par Nadine Morano (NDLR : l’actuelle secrétaire d’État à la famille) d’états généraux de l’enfance. Beaucoup de professionnels se sont trouvés mal à l’aise face à ce qui s’apparente, à mon sens, à une pure opération de communication. On ne perçoit, en effet, aucun fil directeur, aucune vision, on ne sait pas où on va…

Pire, l’enfant apparaît d’abord comme une préoccupation, un problème plutôt qu’une chance, ce qui représente un changement anthropologique majeur. Loin d’une approche positive et globale, on «découpe» l’enfant en fonction des politiques : le délinquant, celui qui décroche à l’école, le petit enfant à garder… Cette approche suscite un véritable mécontentement.

Vous blâmez le gouvernement mais n’est-ce pas un mouvement plus profond ?

On sent la menace depuis longtemps. Mais le gouvernement s’est engouffré sans complexe dans la brèche. Un exemple : lorsque Rachida Dati, l’ancienne garde des sceaux, fait valoir que, pour la vieille dame qui se fait voler son sac, peu importe que le voleur ait 16 ou 18 ans, c’est un énorme bond en arrière. Considérer que le fait d’être mineur n’entre pas en ligne de compte, c’est revenir à la situation qui prévalait avant 1912 et l’invention en France des juridictions de mineurs !

Notre pays, qui a inspiré la Convention internationale des droits de l’enfant il y a vingt ans, est aujourd’hui pointé du doigt pour ses manquements à ce texte. Les associations qui se mobilisent ont le sentiment que le gouvernement ne traite que le symptôme sans s’interroger sur les causes et qu’il aborde les problèmes sociaux sans humanité.

Comment cela se traduit-il ?

En matière de petite enfance, avec l’idée de droit opposable à la garde, on est dans la rationalisation et le résultat comptable au mépris des conditions d’accueil et du savoir-faire. Dans le domaine de la protection de l’enfance, on est dans l’obsession sécuritaire… On pourrait multiplier les exemples, comme le dernier, la suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire, un système qui nous vient du régime de Vichy, et représente une double peine pour les familles.

Qu’espérez-vous avec cette initiative ?

Nourrir le débat et réveiller les partis, notamment le Parti socialiste avant l’échéance de 2012. Il faut une prise de conscience. Si l’on y parvient, on aura déjà fait un bout du chemin. »


Recueilli par Marine LAMOUREUX


(1) Auteur de Trop de gestion tue le social, Éd. La Découverte, 2007, 220 pages, 21,50 €.
(2) « Le Forum des états générEux pour l’enfance » (en référence aux « états généraux de l’enfance » lancés par le gouvernement et dont les conclusions devraient être rendues en juin) regroupe plus de 80 organisations parmi lesquelles La Ligue des droits de l’homme, ATD Quart Monde, l’Uniopss, des syndicats, des associations de travailleurs sociaux…

Faites suivre !