Source : Le Monde
Dans le Monde Dimanche, on trouvait un dossier intitulé “écrans : ados accros, à cran”(accessible uniquement aux abonnés). L’article principal, part d’un constat un peu catastrophiste : Un foyer avec des enfants de 6 à 11 ans possède en moyenne dix écrans, quel que soit son niveau social (Observatoire Gulli, 2008). 
La moitié des enfants de maternelle a la télévision près de son lit. 97% des 6-17 ans 
jouent à des jeux vidéo au moins occasionnellement (Ipsos 2008). 73 % des 12-17 ans 
possèdent un téléphone portable (Sofres 2009). Parmi les 9-16 ans, 87 % accèdent à Internet (enquête Kids online, Cnrs pour l’Union européenne, janvier 2011). Tous ces équipements les conduisent à passer plus de trois heures chaque jour devant les écrans… Soit autant que leurs devant la télévision. 
 
Dans un chat sur LeMonde.fr, lundi 28 février 2011, Serge Tisseron, psychiatre et psychanaliste, spécialiste des nouvelles technologies,  dans un chat avec les internautes relativise les angoisses et plaide en même temps pour une régulation. L''intégralité de ce débat ci-après : ,


Ice Berg
: Les "psy" constatent-ils une augmentation des consultations pour des problèmes relationnels ou de comportement liés à l'utilisation grandissante et précoce des écrans ?

Oui, les psychologues et les psychiatres sont aujourd'hui énormément consultés pour l'usage jugé excessif des jeux vidéo ou des nouveaux réseaux sociaux.

Pol : Comprenez-vous l'angoisse des sur ce sujet ou la trouvez-vous disproportionnée ?

Les ont raison d'être inquiets, mais pas pour la raison qu'ils croient. La consommation excessive d'écrans à l'adolescence n'est, en règle générale, pas le signe de troubles psychologiques. En revanche, c'est vrai que la fréquentation excessive des écrans peut nuire à d'autres activités, et les doivent la réguler.

Tom :  Pendant quelle durée quotidienne doit-on autoriser les enfants à être devant des écrans (ordinateur, télévision) ?

L'Académie américaine de pédiatrie a proposé en 1999 un guide pour les : pas d'écran avant 2 ans (les spécialistes s'accordent aujourd'hui à parler de 3 ans), une heure par jour entre 3 et 6 ans, 2 heures entre 6-9 ans et 3 heures au-delà. Mais il s'agit de temps réel global, incluant la télévision, l'ordinateur pour jouer, l'ordinateur pour travailler, la console portable...

Yan : La télévision et les jeux vidéo font partie de leur époque et de leur quotidien. Comment ne pas les mettre en marge sans tout leur interdire et rentrer en conflit avec leur désir qui semble d'être en phase avec leur temps ?

Pourquoi dit-on que les doivent cadrer le temps de jeu ? Parce qu'à l'adolescence, les jeunes n'ont pas encore acquis la possibilité de réguler eux-mêmes leurs impulsions. Ils ont de la difficulté à suivre les décisions qu'ils jugent pourtant les plus raisonnables pour eux. C'est pourquoi les doivent veiller à ce que les jeux vidéo n'occupent qu'une partie du temps de loisirs. Mais en même temps, cadrer est totalement insuffisant. Parce que les jeux vidéo comportent beaucoup d'aspects positifs et que les ont tout à gagner à s'y intéresser.

Quand les accompagnent en s'intéressant aux jeux de leurs enfants, ils savent cadrer avec beaucoup plus d'intelligence et d'efficacité. Cadrer sans accompagner est aussi inutile que vouloir accompagner sans cadrer. Les deux sont indispensables.

Latemotiv : Un enfant face à tous ces écrans peut-il devenir fou ? Et perdre la relation au réel ?

Jlrenck : Qu'en est-il des repères d'espace et de temps chez des jeunes rivés sur ces fenêtres "magiques" par lesquelles – virtuellement – les distances s'abolissent, et l'immédiat devient la norme ? Des signes perceptibles de "mutations", d'incompétences spatio-temporelles, etc., ont-ils été observés ?

La pratique des jeux vidéo, comme celle des nouveaux réseaux sociaux, modifie le rapport à l'espace, au temps, à la construction de l'identité, et à la place que nous donnons aux activités partagées et aux activités solitaires.

Mais une semblable révolution a déjà accompagné d'autres grandes innovations comme l'invention de l'écriture, et, dans une moindre mesure, de la diffusion du livre grâce à l'imprimerie. Les modes de fonctionnement nouveaux repérés chez les enfants et les adolescents ne sont ni meilleurs ni pires que ceux auxquels nous sommes traditionnellement familiers.

La culture des écrans est en train de remplacer celle du livre. Face à ce bouleversement, le pourcentage d'enfants présentant des troubles mentaux reste stable, et eux seuls courent le risque de développer des pathologies. Il ne faut pas confondre la sphère d'activité dans laquelle une pathologie est repérée avec la cause de celle-ci.

Docteur Olive : L'écran est-il comparable à de la drogue, tant au niveau chimique (dopamine...) que psychologique ?

Elvire : L'utilisation quotidienne de consoles de jeux ou d'Internet ne peut-elle pas générer des mécanismes addictifs chez les enfants ? Je constate que mes enfants ont parfois du mal à "décrocher" si je ne les y invite pas fermement.

Dans les années 1990, Aviel Goodman a développé l'idée qu'il existerait des addictions sans substance. Mais à ce jour, il n'y a pas de consensus des spécialistes sur l'existence d'une addiction à l'Internet, au virtuel ou aux jeux vidéo. Pourquoi ? Parce que plus ces jeux évoluent, et plus ils donnent de l'importance à la socialisation via Internet.

Evidemment, l'être humain adore échanger, ou plus précisément bavarder, et nous connaissons tous cela. Mais on ne peut pas dire pour autant qu'il existe une addiction au bavardage. Et c'est ce que font aujourd'hui la plupart des adolescents quand ils vont sur les jeux vidéo ou les réseaux sociaux : bavarder avec leurs copains. Le seul problème est chez ceux qui vont dans les jeux vidéo pour jouer seuls. C'est pourquoi les doivent toujours poser la question à leur enfant : "est-ce que tu joues seul ou avec d'autres ?" Jouer seul est le plus inquiétant, et si l'enfant répond qu'il joue avec d'autres, il faut lui demander s'il joue avec d'autres qu'il connaît ou qu'il ne connaît pas. La réponse la plus rassurante est celle où il retrouve le soir dans ses jeux des camarades de classe qu'il côtoie la journée.

Adrien : Les réseaux sociaux ne sont-ils pas des lames à double tranchant : d'un côté, l'incroyable possibilité pour qui l'utilise d'échanger en temps réel et, de l'autre, un cloisonnement autour d'un écran, une certaine solitude face à l'écran ?

Dans les réseaux sociaux, on n'est jamais seul, par définition. D'autant plus que des études ont montré que les jeunes, à la différence des adultes, retrouvent préférentiellement dans ces réseaux des personnes de leur âge, qu'ils connaissent par ailleurs. Les adultes cherchent plutôt à rencontrer des inconnus, avec le désir d'avoir des aventures...

Lapin : L'écran ne risque-t-il pas de remplacer le parent en terme de transmission de normes et de valeurs ?

Il y a longtemps que les enfants cherchent dans les écrans des repères pour savoir comment devenir "grand". La télévision et le cinéma ont toujours constitué de tels repères. Et à partir de là, tout se joue autour de la relation que les enfants ont avec leurs . Si ceux-ci fonctionnent selon des règles claires et fiables, les enfants renoncent vite à appliquer les recettes qu'il leur semble découvrir sur les écrans. Mais si les n'ont pas de tels repères, ou, pire encore, se détournent de leurs enfants, ceux-ci vont évidemment tenter d'appliquer les modèles des écrans.

C'est la même chose aujourd'hui avec tout ce qu'ils trouvent sur Internet. S'il y a une différence, elle est seulement dans le fait que sur Internet, ils sont non seulement en contact avec des modèles, mais aussi avec la communauté de leurs camarades, ceux qu'on appelle les pairs. C'est pourquoi aujourd'hui, les enfants sont beaucoup plus dépendants des modèles pratiqués par leurs camarades que par le passé. Mais, comme par le passé, la capacité des de proposer des repères fiables et récurrents reste essentielle.

Mimie : Je n'ai pas la télé à la maison, seulement un ordinateur sur lequel mes enfants regardent de courts dessins animés. Je passe pour un extra-terrestre mais je me dis que c'est mieux comme ça. Mais cela peut aussi être à double tranchant...

De plus en plus de préoccupés par l'influence des écrans sur leurs enfants préfèrent leur mettre des DVD plutôt qu'allumer la télévision. Les règles fixées par l'Académie américaine de pédiatrie en 1999 doivent s'appliquer de la même manière pour ce qui concerne le temps d'écran.

Mais cette formule présente un avantage considérable : permettre à l'enfant de choisir ce qu'il va regarder, de le regarder plusieurs fois s'il en a envie, ce qui lui permet de comprendre mieux l'histoire et de développer sa mémoire. En revanche, ce choix peut conduire l'enfant à ignorer l'existence de feuilletons ou de dessins animés dont ses camarades vont lui parler. Mais l'expérience montre que les enfants dans cette situation s'en débrouillent très bien et qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir, d'autant plus qu'ils s'arrangent toujours pour regarder la télévision chez leurs copains ou... chez leurs grands-.

Si les n'allument jamais la télévision, il vaut mieux qu'ils expliquent à leur enfant que c'est leur choix mais qu'ils sont tout à fait disposés quand même à parler de ce que l'enfant pourra voir ailleurs qu'à la maison.

Glagla : Les adultes ne sont-ils pas les premiers à donner le "mauvais exemple" en passant eux-mêmes de nombreuses heures chaque semaine à consulter leurs mails ou à échanger avec leurs amis sur les réseaux sociaux ?

Une récente étude américaine a montré que les enfants qui regardent le plus la télévision sont ceux dont les regardent le plus la télévision... Autrement dit, si des veulent que leurs enfants la regardent moins, le mieux est qu'ils commencent eux-mêmes par réduire leur propre temps d'écran.

Pour ce qui concerne l'utilisation des jeux vidéo en réseau, il semblerait que le fait d'avoir un parent qui joue est plutôt dissuasif pour l'enfant de jouer : le jeu vidéo est en effet vécu comme une manière de fuir les , et si eux-mêmes sont joueurs, l'enfant court toujours le risque de se voir donner des conseils qui l'empêcheront de cultiver l'illusion de fuir l'influence des , notamment du père.

Enfin, pour ce qui concerne les nouveaux réseaux sociaux, les jeunes y créent leur propre territoire, quel que soit l'usage que les en font de leur côté. Finalement, à mon avis, l'important est plutôt de créer dans la famille des moments où chacun peut parler de ses propres usages des écrans. Et le moment privilégié pour cela me paraît être le repas du soir pris en commun... sans écran, justement pour parler des écrans.

Jos : Quels sont les réels désagréments d'une pratique excessive des écrans chez les jeunes enfants (3-6 ans) ? Pouvez-vous les décrire précisément ?

Entre 3 et 6 ans, des études ont montré qu'il est essentiel que l'enfant ait des activités impliquant l'utilisation de ses dix doigts. C'est pour cela que traditionnellement, l'enfant à cet âge était invité à réaliser des découpages, des pliages, des collages, des coloriages... C'est en effet cette activité des dix doigts qui permet la maturation des régions cérébrales qui permettent l'appréhension des objets en trois dimensions. C'est pourquoi il vaut mieux éviter le plus possible que l'enfant à cet âge-là utilise une console de jeu qui ne mobilise que deux ou quatre doigts. Et il faut en particulier bannir complètement les consoles mobiles (Nintendo DS ou PSP), qui accaparent toute l'attention de l'enfant.

Au-delà, le désagrément principal est la réduction des autres activités et la réduction du temps disponible pour en avoir. Il y a tellement de choses à apprendre à cet âge.

Mais on ne peut pas non plus mettre sur le même plan la pratique d'un jeu vidéo et l'exploration de sites Internet. Pour un temps d'écran égal, prendre en compte le type d'activité est essentiel. Tout ce qui socialise l'enfant à travers l'écran et tout ce qui l'invite à se poser des questions et à résoudre des problèmes imprévus, favorise son développement. A l'inverse, toutes les activités de jeu répétitives, stéréotypées, et plus encore solitaires, sont inquiétantes.

Destouche : Que pensez-vous des projets de l'éducation nationale qui veut que les NTICE (nouvelles technologies de l’information, de la communication, et de l’enseignement) envahissent le champ éducatif et que les écoles deviennent des cyber-cafés ?

Le corps enseignant n'est pas prêt à laisser transformer les écoles en cybercafés ! En revanche, l' a un rôle capital à jouer (comme les , mais différemment d'eux) pour que les enfants soient introduits de la meilleure façon aux nouvelles technologies. L' doit expliquer aux enfants dès l' primaire les trois règles de base d'Internet : tout ce qu'on y met peut tomber dans le domaine public ; tout ce qu'on y met y restera éternellement ; et tout ce qu'on y trouve est sujet à caution, parce qu'il est impossible de repérer les images de la réalité des images falsifiées.

L' a également un rôle essentiel à jouer pour expliquer aux enfants les modèles économiques qui sous-tendent Facebook, , Dailymotion..., et aussi l'importance du droit à la dignité et du droit à l'image. Avant d'être un lieu où l'on utilise les nouvelles technologies, l ' doit être un lieu où les enseignants les connaissent suffisamment pour mettre les enfants en garde contre leurs dangers et leurs pièges.

Quant à l'utilisation des nouvelles technologies à l', les modèles sont encore à l'étude. On s'oriente aujourd'hui dans deux directions : d'abord, la mise au point de jeux vidéo à travers lesquels les enfants puissent acquérir des apprentissages utiles (jeux qu'on appelle "serious games") ; et ensuite, l'utilisation numériques que les enfants possèdent, à commencer par leur téléphone mobile et leur iPod. La meilleure manière qu'ils n'utilisent pas ces machines pour s'échapper des cours est encore de les obliger à travailler avec ! Mais nous ne sommes qu'au début de ces recherches.

Anna : Je constate (mes collègues aussi) chez mes élèves de 9 ans de grosses difficultés de concentration et une nette tendance au zapping. Est-ce lié aux jeux vidéo et à la télévision ?

Le cerveau des nouvelles générations, et d'ailleurs de tous ceux qui sont gros consommateurs de nouvelles technologies, ne fonctionne plus comme par le passé. Le désir d'obtenir une réponse rapide, le fait de passer rapidement d'un sujet à un autre, la difficulté de concentration, tout cela fait partie des nouvelles façons de fonctionner. C'est vrai qu'elles sont inadaptées au système d'enseignement traditionnel. Mais le problème est que rien ne prouve à ce jour qu'elles soient inadaptées au fonctionnement qui sera exigé de chacun d'entre nous dans dix ou vingt ans. On voit déjà de jeunes employés qui sont incapables de se concentrer sur une seule tâche et passent sans cesse de l'une à l'autre pour les résoudre en parallèle, et non plus successivement. C'est très déroutant pour les vieux cadres qui les regardent. Mais ils arrivent à faire le travail pas plus mal que leurs aînés, même si la méthode paraît dérouter la logique qui veut qu'on résolve plusieurs tâches de natures différentes les unes après les autres. Voilà le genre de paradoxe auquel il faut nous habituer.

Certains pédagogues américains suggèrent même que la seule chose qu'il faudrait apprendre aux élèves serait la programmation de machines, car demain l'humanité se divisera en deux : ceux qui savent les utiliser (pensons à nos smartphones d'aujourd'hui !) et ceux qui sauront si mal le faire qu'ils seront rapidement marginalisés. C'est pourquoi les enseignants doivent s'engager eux-mêmes dans l'usage des nouvelles technologies pour mesurer l'ampleur des bouleversements qu'elles imposent au fonctionnement psychique et aux procédures d'apprentissage, et relativiser leurs dangers possibles.

Didon : Comment choisir les dessins animés que peuvent regarder des petits enfants à partir de 2 ans et demi ?

Rappelez-vous que le Conseil supérieur de l'audiovisuel a repris à son compte le slogan "Pas d'écran avant 3 ans". Cela ne signifie pas qu'un enfant soit menacé dans son développement s'il regarde une demi-heure ou une heure de télévision par jour. Mais cela signifie qu'il a toujours mieux à faire, parce qu'à cet âge-là, ce qui importe, c'est qu'il puisse interagir avec le monde environnant d'une manière qui fasse intervenir tous ses sens.

La télévision nous offre une relation réduite à la vue et à l'audition. Si un enfant n'a jamais l'occasion de regarder les programmes que les regardent pour eux, pourquoi en effet ne pas lui mettre de temps en temps un dessin animé ? Mais avant l'âge de 3 ans, et même un peu au-delà, il n'y comprendra rien de toute façon. Seuls comptent le rythme, qui doit plutôt être lent, et les couleurs, plutôt harmonieuses...

Tom : Pensez-vous qu'il y a un âge limite pour avoir un téléphone portable ?

L'âge auquel les achètent un téléphone portable à leur enfant baisse de plus en plus. Il n'est pas rare aujourd'hui de voir des enfants en posséder en CM1. La seule chose que je peux dire aux , c'est que plus tôt un enfant aura un téléphone portable, et plus rapidement il s'éloignera de ses . A partir de là, tout dépend donc de leur choix..


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