de Jean-Marc BERTHET
mercredi 15 juillet 2009
par prisme

"La parentalité est à la mode, dans un contexte de transformations et de recompositions de l’autorité, de la famille, des identités sexuelles et plus largement de brouillage des catégories établies sur lesquelles le travail social avait conforté ses modes opératoires. En même temps, la parentalité est un mot fourre-tout, l’un de ces mots polysémiques auquel chacun, en l’utilisant, confère un sens qui, partagé par différents interlocuteurs, crée un halo de significations sur lesquelles les uns et les autres croient s’entendre alors qu’elles diffèrent largement dans leurs appropriations. Enjeu de politique publique, la parentalité fait l’objet d’actions multiples et variées dont les acteurs sociaux sont porteurs de manière inégales suivant leurs territoires d’intervention. Elle suscite en préalable une interrogation sur les recompositions en cours des frontières entre le public et le privé, entre les familles et l’Etat, entre l’ordre domestique et l’ordre public. Elle oblige donc, d’une certaine façon, les acteurs sociaux à réfléchir différemment leur relation avec les publics",

Il nous semble que les discours relatifs aux parents sont pris dans un balancier où les professionnels en contact avec eux doivent construire un nécessaire entre-deux. D’un côté, les parents seraient incompétents, démissionnaires, inopérants, destructeurs pour leurs enfants (balancier de la disqualification), de l’autre côté, les parents auraient des compétences, devraient être valorisés dans leur fonction, soutenus, réhabilités (balancier de la re-qualification).

Dans ce balancier, la parentalité apparaît un peu comme un mot magique qui va tout résoudre, tout découlerait d’elle et du travail des professionnels à œuvrer à construire des « bons parents » pour revivifier le lien social, penser la place des adolescents en difficulté, résoudre les problèmes d’échec scolaire…Cette notion est souvent présentée du côté de la re-qualification des parents et des familles même si parfois, certains glissements sémantiques montrent bien que de la requalification à la disqualification, le sens , parfois, se pervertit. Et s’il s’agissait tout simplement, pour les professionnels du social, de mieux qualifier les parents ? C’est-à-dire de leur donner quelque qualité, et donc de s’appuyer sur ces qualités entendues comme ressources pour travailler avec eux ?

Que veut dire parentalité ? « Parentalité : qualité de parent, de père, de mère » nous dit le Petit Robert. Parler de parentalité, c’est d’emblée parler de qualité et de qualification. Evidemment, et comme pour tout mot récent, le sens donné est bien souvent polysémique.

Sans entrer dans les détails de cette polysémie, et sans non plus en pointer les ressorts souvent psychologisants, l’une des raisons de l’expression de la thématique de la parentalité renvoie aussi à la transformation même des modes de faire du social. Plus que l’individu à aider ou à protéger, ou la société à défendre face à la dangerosité de certains individus, il s’agit dans une perspective plus systémique aussi de traiter son environnement et en particulier son environnement familial, de tenter donc de penser les individus et leurs problèmes à travers le prisme de la globalité.

Pourtant, l’expression même de parentalité es ambiguë : ne retourne-t-elle pas vers les familles et des logiques privatives des problèmes sociaux et politiques qui renvoient au fonctionnement de la société dans son ensemble ? Bref, parentalité n’est-il pas le nouveau mot de culpabilisation des familles et des parents sous des dehors de transformation ? Les discours relatifs à la parentalité ne sont-ils pas les nouveaux discours de l’ordre public ? A l’encontre, ne peut-on penser que parler de parents plutôt que de familles induit cependant une transformation qui n’est pas neutre : les parents sont plutôt envisagés comme des individus responsables, les familles comme enracinées dans des cultures différentes (populaires, immigrées,…). Bref, la parentalité ne ferait que consacrer un processus de prise en compte de la singularisation des publics, de leur personnalisation et de leur individuation.


La parentalité : un concept charnière et hybride

Le discours sur la parentalité est donc un discours qui oscille entre les questions d’ordre public (les parents toujours soupçonnés d’être la raison des troubles à l’ordre public que ne manqueraient pas de provoquer leurs enfants), les questions d’ordre domestique (parler de parentalité réagence la place de l’intime dans le lien entre les professionnels et les publics) et les questions d’ordre politique (il s’agit d’une nouvelle politique familiale qui peut s’apparenter à une nouvelle police des familles si l’on n’y prend pas garde). La parentalité est une affaire qui relève en principe de la sphère privée mais elle est posée par la société et surtout le pouvoir politique qui la représente comme une affaire d’ordre public.

La parentalité interroge chacun car elle renvoie à sa propre expérience, soit de parents, soit d’enfants avec ses parents, soit encore les deux. Cette expérience intime, initiale, travaille toujours la pratique professionnelle autour de la parentalité. Elle est emblématique d’un mouvement plus large de transformation, de nouvelle imbrication des relations entre le public t le privé dans notre société. En tant qu’affaire intime, ce qu’elle met en jeu et ce qui constituerait souvent l’épreuve professionnelle, c’est cette mise au jour de l’intime et la réponse à cet intime que peut apporter un professionnel. Comme si la parentalité et les actions qui allaient avec devaient en passer par un partage de l’intimité entre le professionnel et les parents : comme si l’intervention professionnelle devait de plue en plus permettre une publicisation de l’intimité et du privatif.

Du côté des liens avec l’ordre public, on voit bien ce qui est en cause, une manière de renvoyer à l’incompétence éducative des parents les crises d’adolescences de leurs enfants, comme si la plus importante des crises n’état pas d’abord celle du système productif. Du côté d’un ordre politique, on voit bien en quoi la politique familiale ne peut que s’interroger sur les questions de parentalité, tant la notion même de famille explose, apparaît comme brouillée, incertaine et objet de vifs débats. Il n’est qu’à voir ce qu’il en est de l’homoparentalité…

La parentalité apparaît alors comme un concept à prises multiples : domestique et intime, social, politique. Il faudrait encore ajouter un terme et c’est celui-là qui nous paraît le plus important : celui d’éducation. Sans revenir sur les mutations propres à la famille, qui n’étaient pas vraiment l’objet de notre recherche-action, il faut insister sur la manière dont les enjeux relatifs à la parentalité sont emblématiques d’ue transformation des conditions même de la notion d’éducation. De plus en plus, la compétence éducative devient une compétence partagée, une compétence qui implique des échanges sur son mode d’exercice et qui ne s’impose plus d’en haut, portée par des professionnels de l’éducatif et de l’Education nationale qui, de leur magistère et donc de leur soi-disant supériorité, diraient le vrai de l’éducation, traceraient les lignes de démarcation entre le licite et l’illicite en matière éducative. A partir du moment où l’on parle de parentalité, on parle aussitôt de posture différente dans la manière d’envisager les parents et les publics de manière générale : et donc aussitôt un changement de posture du côté des professionnels est exigé : de l’en dessus à l’à-côté. Dans ce passage, un autre terme est prépondérant, celui d’accompagnement.


L’accompagnement à la parentalité : une confrontation des expertises ?

Tout se passe dans le terme accompagnement à la parentalité comme s’il en allait d’une situation d’égalité entre les professionnels de l’accompagnement et les publics accompagnés. L’accompagnement, qui n’est pas l’éducation, marque une transformation de la temporalité de l’action (d’un temps long à un temps plus court) mais aussi des conditions même des positions des protagonistes de l’action (d’une hiérarchisation à un rapport plus égalitaire). Situation qui d’ailleurs prend souvent la forme de contractualisation, le contrat permettant alors de mieux marquer encore cette fiction égalitaire.

Et pourtant, les professionnels et lers publics ne peuvent être égaux dans la situation de leur rencontre. Ils ne le sont jamais socialement. Cependant, il reste à penser que ces professionnels et ces publics ont des expertises respectives t que leur rencontre pourrait poser comme enjeu une confrontation des expertises. La parentalité et la rencontre de professionnels avec des parents autour de ce thème pourraient alors évoquer une panne temporaire de l’expertise parentale (la place du professionnel serait alors d’emblée légitime) ou une panne de l’expertise professionnelle (mais alors comment tenir la relation ?). Et si les actions relatives à la parentalité étaient un des moyens de faire dialoguer des soi-disant experts et des soi-disant profanes, de façon à ce que les uns et les autres se comprennent mieux et , ce faisant, co-produisent une solution adaptée à leurs problèmes ?

Entre la définition et le concept : une pratique à venir ?

Un rapport déjà ancien de l’IGAS sur les REAAP apporte trois grandes confirmations : le regard sur les parents s’est transformé, le problème des difficultés parentales est légitimité par le dispositif et surtout, la parentalité est un facteur de décloisonnement institutionnel tout à fait intéressant. Il montre cependant bien comment la confusion sur le sujet peut parfois régner et comment, avec de nouveaux mots, on réintroduit subrepticement des vieilles antiennes. Ainsi de cet extrait d’entretien d’une personne interviewée à propos des REAPP : « Il y a une relation d’égalité avec les parents dans les REAPP. Les professionnels sont engagés dans l’échange plus que dans les rapports de savoir et de pouvoir, c’est innovant. C’est une grande révolution, une relation de complémentarité et d’échanges entre celui qui sait et celui qui ne sait pas ». Ce propos est exemplaire puisqu’il nous dit combien la pratique relative aux actions de parentalité est étroite mais il dit aussi combien celui qui ne sait pas est l’égal de celui qui sait ! La parentalité devrait aussi permettre de sortir de ce type de confusion : tant que l’on fera du vieux avec du neuf, tant que l’on dira que l’on est complémentaire de ceux qui ne savent pas, le modèle normatif d’imposition des valeurs des professionnels sur les publics aura de beaux jours devant lui, ainsi que le rejet des publics dans l’illégitimité qui permet de re-légitimer le professionnel. C’est à ce point précis que le terme d’accompagnement à la parentalité prend tout son sens comme ajustement et nouvelle imbrication des savoirs des professionnels et des parents et en prenant comme postulat que les parents ne savent pas rien.

Paroles de parents

« On a toujours peur de mal faire, de créer des choses qui vont poser des problèmes plus tard à l’enfant ».

« Je pense que les parents doivent reprendre leur place parce qu’il y a beaucoup de parents qui ne préservent pas leur place de parents, qui laissent faire la société ou qui laissent faire l’éducation par la maîtresse, alors que c’est le rôle des parents. »

« L’autorité doit être intégrée par l’enfant. Et je pense qu’aujourd’hui, on vit une crise de crédibilité, un manque de crédibilité de beaucoup de parents. Et c’est ce manque de crédibilité qui fait que comment pour un jeune accepter une parole d’adulte qui manque de crédibilité par ses paroles, par ses actes ? »

« Les difficultés, elles se sont présentées tout de suite par le soucis qu’on a absolument de bien faire, absolument de na pas faire d’erreur, absolument de faire comme dans les livres, les malheureux livres que moi j’ai lus. »

« Moi, l’avenir ne m’inquiète pas mais j’y pense. Je me dis qu’il faut leur donner toutes leurs chances pour qu’ils soient bien. Pas spécialement qu’ils fassent de hautes études mais qu’ils ne rentrent pas dans la délinquance, qu’ils soient des adultes bien dans leur tête. »


 

 

Etre parents, c’est… :

« C’est préparer un être humain à une vie future. On est là pour l’aider à grandir. On est là pour le protéger, l’aimer, essayer de lui inculquer des valeurs qui nous semblent être les bonnes. Tout ça pour qu’il soit prêt plus tard à vivre lui-même sa vie. »
« C’est toujours se remettre en question, toujours. Toujours penser à leur bien-être. Les écouter. Mais c’est surtout les aimer. »
« C’est avant tout l’amour. Et puis l’attention. »
« C’est essayer de faire de son mieux pour qu l’individu dont on a la charge se construise au mieux, s’épanouisse dans les meilleures conditions. »
« C’est accepter que son enfant puisse un jour partir et partir dans de bonnes conditions dans sa tête. »
« C’est être encore plus responsable. Je me suis toujours sentie responsable mais là, ça s’est multiplié par je ne sais pas combien depuis que je suis maman. »
« C’est un long chemin. Il y a peut-être des embûches mais il y a des super bons moments à partager ensemble. »

Paroles extraites du film « Paroles de parents », documentaire fiction de Patrick Viron. Projet coordonné par le Centre social du quartier des Etats-Unis, Lyon 8e, réalisé avec les parents des quartiers des Etats-Unis, de Mermoz, de Laennec et de Langlet-Santy.

 

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