CLEF 54 Coordination Lunévilloise Enfance Famille
Parents, enfants, professionnels, coéduquer pour vivre et décider ensemble
Parents, enfants, professionnels, coéduquer pour vivre et décider ensemble
Non, le mammouth n’est pas entièrement congelé ! Malgré ses pesanteurs, l’Éducation nationale est aussi un lieu d’innovation. De plus en plus d’enseignants imaginent d’autres manières de guider les élèves dans les apprentissages....,
40 pages, 89 articles, un cortège de décrets et d’arrêtés : le grand œuvre de Vincent Peillon, ministre de l’Éducation nationale de 2012 à 2014, a été la promulgation d’une loi pour « refonder l’école de la République ». Malgré ses beaux principes, ce texte a été accueilli avec scepticisme sur le terrain. Si chaque ministre veut sa loi, les enseignants français le savent, une publication au Journal officielne suffit pas à réformer l’école. Face aux profondes inégalités territoriales décrites par la sociologue Agnès van Zanten (1), le modèle jacobin centralisateur paraît aujourd'hui impuissant.
Souvent montrée en exemple pour ses bons résultats, la Finlande a transformé son système éducatif à la fin des années 1960 en inversant complètement la perspective. Elle a en effet accordé une très grande autonomie aux acteurs locaux, partant du principe qu’ils étaient les premiers acteurs du changement. Là-bas, écrit Paul Robert, principal de collège et auteur d’un livre sur le sujet (2), « les professeurs jouissent d’une liberté totale pour développer des méthodes et des approches personnelles » et « d’une grande confiance et d’une grande considération ».
Cette confiance, la rue de Grenelle peine encore à l’accorder aux 842 000 enseignants placés sous sa coupe – considérant qu’une trop grande différenciation pédagogique entre les classes pourrait compromettre le principe républicain d’égalité. Mais les lignes bougent peu à peu… Lancé par Jack Lang en 2000, oublié ensuite, le Conseil national de l’innovation vient de renaître. Autre signe encourageant, les Journées de l’innovation connaissent un beau succès : la quatrième édition, organisée en mars à la BnF à Paris, a mis en valeur plus de 500 actions. Également porté par le ministère, le site Expérithèque (3) recense plus de 2 500 expérimentations. Enseignants, chefs d’établissements, inspecteurs y décrivent, souvent avec humilité, leurs tentatives pour repenser le face-à-face pédagogique, l’évaluation ou le lien avec les parents… Nous vous invitons à partir à leur rencontre.
Une classe vide : voici ce qu’ont trouvée les 23 petites sections de l’école maternelle de Stenay (Meuse) le jour de la rentrée, l’an dernier. Pas de mobilier, des murs sans affichage, le matériel rangé dans des caisses… Les premiers jours, les enfants se sont simplement assis par terre et ont puisé dans les caisses comme dans une malle aux trésors, sortant poussettes, poupées, jeux de construction ou perles. Rapidement confrontés au désordre et au manque de confort, ils demandent des bancs puis commencent à ranger et à trier. « Le groupe construit progressivement des apprentissages en s’appropriant l’espace », explique l’enseignante, Julia Beguinet.
Dans ce contexte, les enfants prennent conscience de l’importance du langage : il faut se parler et s’écouter pour définir des règles communes. L’innovation rencontre ici les objectifs du programme sur la maîtrise de la langue et le vivre-ensemble. J. Beguinet a convaincu ses quatre collègues de la suivre dans cette expérience qui bénéficie du soutien de l’inspectrice de circonscription. Après une « année très sereine », et malgré des questionnements encore nombreux, elle n’imagine plus revenir en arrière. « Les enfants viennent à l’école avec envie et ont compris ce qu’ils y faisaient », témoigne-t-elle.
« Cette année, je ne vais pas écrire au tableau et je ne vais pas faire cours ! » Au collège Sainte-Marie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), l’annonce du prof de sciences physiques a surpris parents et élèves… C’est en twittant que Pascal Bihouée a découvert le concept de « classe inversée », venu des États-Unis. Jetant aux orties le modèle classique (cours magistral et devoirs à la maison), il demande à ses élèves, de la cinquième à la troisième, de visionner chez eux ou au CDI des vidéos de 5 à 10 minutes, pour s’approprier le contenu de la leçon. Une fois en classe, ces connaissances sont réinvesties lors d’activités en petits groupes.
Définitivement descendu de l’estrade, l’enseignant s’assied au milieu de ses élèves et prend le temps de revenir sur ce qui n’a pas été compris. Il encourage aussi le travail collectif. « Oui, les élèves bavardent dans mes cours, mais c’est voulu ! », s’amuse-t-il. Son expérience a séduit Microsoft, qui a décidé de lui prêter des tablettes numériques l’an prochain. Une quinzaine de « classes inversées » sont recensées sur Expérithèque, en collège comme au lycée, dans des disciplines aussi variées que le sport, l’histoire-géographie ou l’anglais.
Au collège de La Réole (Gironde), c’est le rectorat qui a fourni des tablettes numériques aux enseignants, avec le soutien du conseil général. « Au départ, j'avais peur du gadget », confie Bruno Marty. Pour éviter cet écueil, ce professeur de mathématiques met au point des scénarios pédagogiques très précis, utilisant des vidéos ou des QCM en ligne. Peu à peu, il prend conscience, avec ses collègues de sciences physiques et de SVT, des potentialités de l’outil. Plus maniable qu’un ordinateur, la tablette permet aux élèves de photographier et de filmer facilement des expériences puis de déposer, en un clic, leurs documents sur un espace numérique de travail. « Une observation engagée en physique débouche par exemple sur une exploitation de données en mathématiques, ce qui met fin au cloisonnement entre les disciplines », explique B. Marty. Aujourd’hui, près de 450 collégiens utilisent régulièrement des tablettes pendant leur cours de sciences. Mais ce n’est que le début : c’est maintenant les professeurs d’anglais qui souhaitent les utiliser…
Mais quel est le but du Mouvement contre la constante macabre ? Cette association au nom étrange s’attaque à un travers typiquement français : la mauvaise note. Son fondateur, André Antibi, est chercheur en didactique. Il montre dans ses travaux (4) que les enseignants attribuent toujours le même pourcentage de mauvaises notes, quels que soient le sujet du contrôle et le niveau de la classe. Aberration statistique, cette constante macabre crée de l’échec scolaire en décourageant et en démotivant des élèves.
Après avoir découvert « un peu par hasard » cette notion, Philippe Roederer, inspecteur à Pontault-Combault (Seine-et-Marne), invite A. Antibi pour une conférence face à 350 enseignants. Il expérimente ensuite avec des professeurs des écoles volontaires « l’évaluation par contrat de confiance ». Avec ce système alternatif imaginé par le chercheur, l’enseignant donne le programme précis de l’examen à la classe pour lui permettre de s’entraîner avant le contrôle. C’est un succès : les élèves travaillent beaucoup plus et prennent confiance en eux. Le mouvement s’étend au second degré. Au collège Monthéty, 7 enseignants sur 10 ont ainsi changé leur mode de notation, selon le principal Marc Guillard.
Dans la classe de CM1 de l’école Saint-Louis, à Paris 18e, ce sont les élèves qui « font classe ». Enseignante depuis une vingtaine d’années, Ostiane Mathon confesse qu’elle « lâche prise petit à petit » par rapport à la pratique classique. Depuis trois ans, elle a abandonné les notes pour les remplacer par une évaluation bienveillante. Et depuis la rentrée, elle a décidé d’arrêter de planifier ses cours. « Je voyais arriver en classe des élèves très soumis, très consommateurs, très démotivés : j’ai voulu leur redonner le goût et l’envie d’apprendre en leur passant le relais », explique-t-elle. Son cadre de référence : les pédagogues Maria Montessori, Célestin Freinet, Alexander Neill et Ivan Illich.
Le matin, O. Mathon recueille les idées de chacun. Certains enfants restent dans une approche très académique, suggérant de continuer la leçon d’orthographe de la veille, tandis que d’autres proposent des jeux d’écriture ou des exposés sur leurs sorties du week-end. Le menu du jour est voté par le collectif et un enfant « programmateur » suit sa réalisation. Au fil des semaines, tous les éléments du programme officiel de l’Éducation nationale sont couverts… « Je n’ai pas encore assez de recul pour voir si cette organisation a un effet sur les résultats scolaires, mais je constate que la motivation est au rendez-vous : des enfants m’attendent à la porte de l’école pour me proposer un exposé ou même une dictée », explique la maîtresse.
Tous les lundis de 17 à 18 heures, à l’école Prévert d’Yzeure (Allier), les parents ont rendez-vous avec leur enfant. But du jeu : l’aider à faire ses devoirs, avec l’enseignant de sa classe. « Ce travail en trio renouvelle le cadre traditionnel des devoirs, dans un quartier où les familles ont parfois du mal à suivre le travail scolaire », atteste Jean-Guy Cognet, directeur de cette école en éducation prioritaire. Gratuit, sans inscription préalable, le dispositif enregistre un taux de participation de près de 40 % du CP au CM2. Il contribue à la sérénité du climat scolaire, parents et enseignants ayant l’habitude de se côtoyer. D’abord mené de manière bénévole, il est reconduit chaque année depuis 2003 et a été remarqué lors des Journées de l’innovation de 2012.
Dans les années 1920, C. Freinet lançait le Journal scolaire pour favoriser l’expression écrite et les échanges entre classes. Aujourd’hui, les enseignants innovants écument les réseaux sociaux (5) ! L’une des fiches les plus consultées sur Expérithèque (plus de 18 000 vues) concerne « Tw’Haiku », une action menée dans le département de la Côte-d’Or. En avril, une trentaine de classes maternelles et élémentaires ont publié sur le site Baby Twit, une alternative non commerciale à Twitter, des dizaines d’haïkus inspirés de photographies. Les productions les plus appréciées ont été réunies dans un recueil numérique virtuel. Résultat : 9 élèves sur 10 affirment avoir davantage envie d’écrire. « Ce projet a aussi permis d’aborder avec eux les questions de publication sur Internet, chaque classe se dotant d’une charte d’usage », souligne Jonathan Tessé, professeur des écoles. Plusieurs enseignants, convaincus par l’outil, continuent à l’utiliser en classe.
« Redressez-vous, détendez-vous, connectez-vous à la terre ! » Le début du cours de Sylviane Vincent, au collège Gabriel-Péri de Gardanne (Bouches-du-Rhône), peut étonner. « Je demande aux élèves de prendre 3 minutes pour se poser et s’intérioriser, ce qui permet de les connecter à la classe, ici et maintenant », explique cette professeure d’anglais, qui tire ainsi profit de sa connaissance approfondie du yoga. Lorsque l’attention des élèves fléchit, elle fait sonner de petites cymbales tibétaines pour demander le silence. Ce climat scolaire apaisé favorise la démarche d’apprentissage.
Née il y a cinq ans pour aider un élève hyperactif, cette idée s’inscrit désormais dans un véritable projet d’établissement : près de 120 élèves (sur 360) participent à des « ateliers yoga » réguliers, inscrits dans l’emploi du temps. « Quand on a lancé le dispositif, il y avait des yoga-sceptiques, qui ont proposé ironiquement de lancer des ateliers sieste, se souvient S. Vincent. Mais maintenant, des collègues me disent qu’ils voient la différence : quand ils demandent du silence à leur classe, ça marche ! »
Dossier : Éduquer au 21e siècle
➜ A lire également : Vers une mondialisation de l'éducation ?
Imprimer | Commenter | Articlé publié par coordination le 18 Avr. 15 |