Photo: Jacques Nadeau dans  Le DevoirLibre de penser
"Pas besoin de maîtriser les 26 lettres de l’alphabet pour écouter, lire ou raconter. Mais il faut des livres, et peut-être même une suce et des lunettes"....,

En me rendant au Centre de la petite enfance Halte-Répit Hochelaga-Maisonneuve, j’écoutais des publicitaires à la radio nous expliquer que l’être humain est passé d’une capacité d’attention de 12 secondes en l’an 2000 à 8 secondes en 2015, moins qu’un poisson rouge qui « pogne le fixe » dans son bocal. L’écran de fumée technologique aurait fait de nous des puces sauteuses incapables de se dompter l’esprit....-----,

Parmi les populations les plus fragiles et à risque de décrocher dès la première année du primaire, pour cause d’incapacité d’attention, il y a des enfants qui présentent des troubles de langage dès l’âge de trois ou quatre ans, particulièrement dans les milieux défavorisés. Récupérer ces futurs écoliers en brisant l’aura de mystère qui entoure la lecture, c’est le défi singulier que s’est fixé Marie Christine Hendrickx. Cette « ex-Française » et psychologue de formation est devenue écrivaine jeunesse et ses quatre enfants ont fréquenté la Halte-Répit d’Hochelaga-Maisonneuve...-------,

Il y a dix ans, Marie Christine s’est dit que ce serait chouette de passer par le livre pour ouvrir les horizons de la parole dans un milieu où l’on manque parfois cruellement de vocabulaire. Elle a timidement tendu un livre à une éducatrice pour qu’elle le lise aux petits. Le miracle a opéré : on lui a réclamé d’autres livres dès le lendemain. « Le CPE possédait des livres, mais ce n’était pas ciblé, ni bien choisi, ou alors des Dora et des Flash . Les éducatrices elles-mêmes n’étaient pas enclines à les lire. Il fallait commencer par là », explique Marie Christine.

Écouter, lire, raconter, ce n’est pas réservé qu’à ceux qui maîtrisent les 26 lettres de l’alphabet. Dès l’âge de trois mois, on met des livres cartonnés et plastifiés dans les petites menottes de bambins intéressés et curieux. Le livre devient un objet comme un autre. Et trop souvent, à la maison, les livres sont absents alors que les écrans brillent en permanence. 

Ici, rue de Chambly, à un jet de pierre du cégep de Maisonneuve, on sème de jeunes lecteurs qui fréquentent une garderie entièrement dédiée au plaisir des mots et de l’image, et où l’on trébuche dans les livres qui traînent partout, à portée de mains et du regard. Le livre papier a encore de belles années devant lui.

Lire sans savoir lire

Marie Christine a convaincu la directrice du CPE, Marie-Claude Langlais, et toutes les éducatrices avec, d’épouser ce projet ludique et pédagogique qui nécessite 500 $ à 800 $ en livres neufs par an. Des pinottes, le prix d’un iPad pour intéresser 120 familles et leurs Timothé, Alicia et Louka, de 3 mois à 5 ans, à l’univers de la lecture. « Chaque enfant reçoit aussi un livre neuf en cadeau à Noël, spécifiquement sélectionné pour lui, raconte Marie Christine. C’est un grand drame, l’échec scolaire en première année. On en parle peu, mais ça laisse des traces indélébiles pour plus tard. Et avec la lecture, nous voyons une augmentation de la capacité d’attention des enfants entre le début et la fin de l’année. » 

Marie Christine se promène dans tous les groupes, munie de ses livres et de sa capacité d’émerveillement. La conteuse et personne-ressource a accès à un millier de livres et les enfants peuvent emprunter ces albums (plastifiés par les parents) pour les rapporter à la maison. « Des parents se sont mis à lire avec leurs enfants et ont brisé le tabou de la bibliothèque sur place, au CPE. »

Oui, une bibliothèque peut demeurer intimidante pour un adulte et l’idée d’en créer une de proximité, gérée par les parents de la garderie, contribue grandement à franchir ce pas vers la littéracie, n’en déplaise à notre ex-ministre de la Bolducation.

À la Halte-Répit, on ne vient qu’une demi-journée et on repart avec son livre sous le bras. On a accès à des fauteuils et des tapis de lecture, des présentoirs de livres et revues, tous sélectionnés avec soin par Marie Christine. On organise sur place un Salon du livre, des sorties à la bibliothèque, des lectures collectives avec les parents, et on tente par tous les moyens de présenter le livre comme une planche de salut facile à saisir.

Selon la Fondation pour l’alphabétisation, 19 % des Québécois sont analphabètes et 34,3 % éprouvent de grandes difficultés de lecture. Plus de la moitié de la population balbutie « analphabète fonctionnel » et le chiffre se transpose au CPE Halte-Répit : un enfant sur deux présente déjà un retard de langage. L’analphabétisme n’est pas héréditaire et un enfant de parents analphabètes qui sera mis en contact avec les livres aura de meilleures chances de s’en sortir. Et les parents aussi.

« Moi, j’étais très sceptique au début, admet Nathalie, maman de Maxime, 5 ans. Mais j’ai vu un gros progrès de langage pour mon fils et la lecture est devenue très importante. » Si importante que Nathalie gère désormais les prêts de livres le midi.

Apprivoiser, c’est le mot

Alors que pour bien des parents, avoir accès à un CPE demeure une aubaine inouïe, ici, à la Halte-Répit de , on doit les séduire et les relancer, même après l’inscription, pour qu’ils surmontent la gêne, la peur du jugement, et osent se présenter. « Certains ont eu des problèmes avec les services publics — DPJ, aide sociale — et sont très méfiants. Il faut aller les chercher », confie l’empathique directrice.

Pour cette raison, certains ne viennent que deux demi-journées par semaine, même si c’est gratuit. La moitié des familles ne paie pas le tarif de base par manque de moyens financiers. « Nous voulons éviter l’isolement et une partie de la clientèle n’a pas d’horaire de travail, donc, arriver ici à 8h le matin, c’est un problème pour eux. Pour ces familles vulnérables, la tendance est de s’isoler », ajoute Marie-Claude Langlais.

Et l’enfant paie la note. « Ça exige de la souplesse de notre part. Une maman a demandé à faire la sieste avec son enfant avant de décider de l’envoyer ici. Nous avons accepté. Sinon, nous perdions cet enfant. »

C’est peut-être la différence entre un aquarium et une garderie, il faut parfois sortir l’enfant du bocal. Un livre est une fenêtre, mais encore faut-il l’ouvrir pour prendre une bouffée d’oxygène. En savoir plus en images  : PDF



Marie Christine Hendrickx a fait une petite vidéo de 3 minutes avec une démonstration de ma technique pour proteger les livres pour les tous petits..."C'est tout simple et très utile !"

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