• Marc Douaire est président de l’Observatoire des zones prioritaires (OZP), une association créée en 1990 pour favoriser les échanges sur l’éducation prioritaire, la lutte contre l’échec scolaire et l’exclusion. Il se dit « atterré » par les conclusions du rapport que le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) a dévoilé, mardi 27 septembre.En savoir plus
  • L'éducation prioritaire menée depuis trente-cinq ans pour lutter contre les inégalités sociales et scolaires est un échec, pointe le Conseil national d'évaluation du système scolaire, dans un rapport rendu public mardi 27 septembre. Sans demander l'arrêt de cette politique, il réclame plus de mixité sociale dans les établissements concernés.


Résumé du rapport ...,

"L'école française en 2016 fabrique de l'injustice sociale", affirme la présidente du Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco), dans un rapport publié le 27 septembre au titre sans équivoque "
Comment l'école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires ?". Fruit d'une collaboration de deux ans entre sociologues, économistes, didacticiens, psychologues français et étrangers, il dresse un bilan sans complaisance des inégalités sociales et migratoires à l'école. Au terme de ses 136 pages, le Cnesco appelle à une clarification des attentes nationales et fournit ses préconisations. 

Discrimination négative de l'éducation prioritaire...-----,

Si les inégalités de l'école française, son manque de mixité sociale, son niveau inférieur aux autres pays de l'OCDE sont soulignés dans quantités d'études françaises et internationales (comme l'enquête Pisa), la nouveauté du Cnesco est de pointer directement les effets pervers de l'éducation prioritaire, mise en place il y a plus de 35 ans pour aider les établissements situés dans des zones socialement défavorisées.  Aujourd'hui 12% des élèves fréquentent un établissement accueillant deux tiers d'élèves défavorisés (parents ouvriers, chômeurs ou inactifs). "Stigmatisation des établissements classés en éducation prioritaire, départ des familles les plus favorisées, dégradation du niveau des élèves, engendrant les ségrégations sociale et scolaire entre et dans les établissements français", insiste le rapport qui enterre le mythe de l'égalité des chances. "On a plutôt des preuves que ça ne marche pas mais on continue. Les pays qui avaient adopté ce dispositif l'ont tous abandonné, car ses effets pervers sont plus nombreux que les effets positifs", affirme même Georges Felouzis, professeur de sociologie des politiques éducatives qui a collaboré au rapport, cité par l'AFP. 

Certes, admet le Cnesco,  le régime de l'éducation prioritaire conduit à octroyer des moyens supplémentaires à ces établissements (taille des classes inférieures mais de peu, dotations de fonctionnement plus élevées…), mais ces moyens n'améliorent pas l'efficacité de l'enseignement, rejoignant ainsi le bilan de la Cour des comptes  (lire ci-contre "La Cour des comptes critique le mode d'allocation des moyens aux établissements scolaires). A l'inverse, le temps d'enseignement y est plus court (en raison des problèmes de discipline), les enseignants sont moins expérimentés, avec davantage de non-titulaires, le climat scolaire est moins favorable (sentiment croissant d'insécurité chez les élèves et chez les enseignants). En somme, sur un ensemble large de facteurs cruciaux réellement liés aux apprentissages, les élèves socialement défavorisés et issus de l'immigration sont victimes de "discrimination négative", enfonce le rapport. 

Davantage de mixité sociale

Le rapport va plus loin et met en cause les défauts de la gouvernance à la française dans les politiques éducatives mises en place dans ces établissements prioritaires. Par exemple, peu de réformes se fondent sur des expérimentations conduites à des dimensions territoriales significatives avant de les étendre à l'échelle nationale... 

Le Cnesco ne réclame pas l'arrêt de cette politique, du moins pas tant que la mixité sociale au sein des établissements reste aussi faible. "Toute politique restera peu efficace si les écoles et les collèges les plus ségrégués ne font pas l'objet d'une politique volontariste de mixité sociale", affirme-t-il. Il propose ainsi de renforcer la mixité sociale dans les 100 collèges où la ségrégation est la plus importante. Ce qui permettrait à terme une adaptation de l'éducation prioritaire, "qui présente des lacunes importantes mais ne doit pas être supprimée à court terme".   

Comment imposer une justice scolaire : les préconisations du Cnesco

Et le rapport de préconiser, entre autres, la fin  des réformes à répétition, peu mises en oeuvre dans les classes, pour miser sur l'expertise des acteurs de terrain (enseignants, chefs d'établissements, inspecteurs, conseillers pédagogiques…) qui accueillent au quotidien les élèves en leur donnant les moyens d'une action pédagogique efficace (formation continue obligatoire, maîtres spécialisés sédentarisés dans les écoles, outils d'évaluation à dimension nationale mis à leur disposition…). Il recommande aussi de favoriser les ressources des personnels d'encadrement, dont l'efficacité est évaluée. Des efforts importants doivent être dirigés vers les personnels des premières années de la scolarité obligatoire, propose-t-il. Autres préconisations : mener des actions spécifiques de communication en direction des familles issues de l'immigration (cours d'alphabétisation dans les écoles maternelles…), favoriser la scolarisation pour les moins de trois ans comme ressource de socialisation et d'apprentissage du langage, surtout pour les familles défavorisées, renforcer les bases de données des évaluations nationales aux étapes clés de la scolarité, en donnant aux équipes pédagogiques les moyens de repérer les résultats scolaires de leurs élèves face à des objectifs nationaux en termes de connaissances et compétences. D'ailleurs, avec un taux en France de redoublement qui a fortement régressé depuis les années 2000, le Cnesco regrette le manque de solutions alternatives efficaces mises en place pour les élèves les plus défavorisés...

S'agissant de l'enseignement professionnel, le Cnesco propose de rénover les diplômes pour développer l'employabilité des jeunes diplômés, décloisonner les différentes voies de formation grâce à un lycée polyvalent rénové, promouvoir une pédagogie de mise en situation professionnelle, favoriser la mobilité internationale, informer les familles défavorisées qui bénéficient de peu de soutien et souffrent d’un manque d’information.

Pour la présidente du Cnesco, "mettre en cohérence discours et réformes scolaires est certainement au coeur d'une politique efficace de lutte contre les inégalités sociales et migratoires à l'école pour les années à venir".

Sandrine Toussaint dans localtis

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