Jeudi 8 février dernier, des membres du réseau Lunévillois acteurs de la campagne "Vivre en santé avec les écrans" rencontraient les médecins de l'association Lunévilloise Médilune.


 Au nombre de 11, ces médecins ont apprécié le support vidéo avec les témoignages des docteurs Serge Tisseron et Anne-Lise Duccanda ainsi que la chercheuse québécoise Linda Pagani. Mais surtout ont découvert au travers des interventions de 3 professionnelles de la santé sur notre territoire, la diversité des actions menées et l'engagement de tout un réseau pour avancer sur le terrain de la prévention aux écrans. Tel est le message qu'ont fait passer le médecin de PMI, Marie-Anne Boccard, l'orthophoniste Hélène Broyez et la psychologue de RASED, Marie Colin. Toutes ont fait état de leur quotidien, de leurs craintes et de leur engagement à mobiliser le plus grand nombre d'adultes sur cette révolution des écrans dans les vies....,

Pour démarrer la soirée Véronique Armbruster, membre du collectif CLEF a dressé le contexte général de cette campagne lancée à Lunéville, le 14 novembre 2017. "Depuis une dizaine d’années, les écrans ont envahi nos espaces de travail, nos foyers, nos habitudes et nos comportements et si nous reconnaissons certains effets de cette formidable évolution numérique, il est confirmé parallèlement des craintes de nombreux professionnels de l'enfance. Sur ces 4 dernières années, les témoignages des enseignants de maternelle, des professionnels petite enfance et de la santé avec lesquels nous travaillons, sont inquiétants. Nous avons donc initié en 2015, un travail avec Serge Tisseron, proposé plusieurs ateliers de sensibilisation sur le territoire mais l'impact fut trop faible. Aussi, le 14 novembre dernier après 6 mois de réflexion en réseau, nous avons réussi à rassembler plus de 150 acteurs professionnels, élus, bénévoles du territoire qui s'engagent à essaimer sur l'ensemble du territoire des temps de sensibilisation des parents. Dans les crèches, les écoles maternelles, les permanences PMI etc. Des rencontres parents se sont déjà organisées".

Marie-Anne Boccard s'est ensuite adressé directement à ses collègues expliquant les consultations PMI et soulignant : "Mesdames, Messieurs les médecins, vous êtes parmi les professionnels de santé, en 1ère ligne pour repérer les troubles des enfants surexposés aux écrans, alerter leurs parents sur ce problème de Santé Publique et éventuellement les orienter vers le Collectif Enfance Famille du Lunévillois (CLEF).Nous pourrons rechercher avec eux une utilisation plus raisonnée des écrans de la maison et les accompagner pour remplacer le temps ainsi libéré, par des activités interactives avec leurs enfants".

Marie Colin, présenta ensuite le travail d'une équipe de RASED sur son secteur de Badonviller/Cirey sur Vezouze. Pour expliquer ensuite ce qui est vécu à l'école. Au cours de sa pratique professionnelle elle a remarqué qu’il pouvait y avoir des liens entre certaines difficultés décrites par les enseignants et une surexposition aux écrans. Ainsi l'équipe rencontre beaucoup d’enfants qui ont des difficultés pour se concentrer, qui sont fatigués dès le matin. D’autres, ont beaucoup de mal à entrer dans les apprentissages que leur propose l’école, et même à s’adapter aux attentes de l’école. Propos à prendre avec prudence, explique Marie Colin puisque ces observations peuvent être liées à de nombreux autres facteurs.
  • A l’école, nous demandons aux enfants de s’exprimer à l’oral, de donner leur avis, de maîtriser le vocabulaire et la syntaxe. Face aux écrans, ces compétences ne sont pas vraiment nécessaires et sont peu travaillées. Lorsque les jeunes enfants regardent la télé, ils n’apprennent pas à communiquer avec autrui ou à exprimer leur émotions, ils n’ont pas l’occasion d’enrichir leur vocabulaire ou de parfaire leur syntaxe. Il n’y a pas d’échange et le flot de parole qui provient de l’écran ne leur apporte rien.
  • A l’école, les élèves agissent sur le monde pour mieux le comprendre, ils font des liens pour apprendre, bref ils sont actifs. Devant les écrans, un jeune enfant est plutôt dans une position de passivité, il fait peu de lien car les images et les paroles qu’il reçoit sont présentées trop rapidement et sont trop nombreuses, voire inadaptées.
  • A l’école, le langage écrit a une place centrale. Un des objectifs majeurs est d’apprendre à lire et à écrire. Or, un jeune enfant qui est souvent devant les écrans passe moins de temps à manipuler, moins de temps à dessiner, moins de temps à laisser une trace. Nous sommes inquiets du nombre important d’élèves qui se trouvent en difficulté lorsqu’il s’agit de passer par l’écrit pour rendre compte de ce qu’ils savent ou pour partager tout simplement.
  • Être élève, c’est aussi être en capacité psychique de se confronter aux apprentissages qui sont faits d’obstacles à franchir et de remises en question permanentes. Apprendre est assez insécurisant. Hors un jeune enfant qui passe beaucoup de temps devant les écrans, le fait au détriment des activités et échanges nécessaires à sa construction psychique et à sa sécurité interne.
  • Et enfin, les enfants ont besoin d’être au calme, de rêvasser, de s’ennuyer, ils ont besoin de moments sans stimulation pour pouvoir développer leur imagination, leur monde intérieur et devenir créatif. Malheureusement les écrans envahissent souvent le quotidien et laissent peu de place à ces moments de rêverie.
Hélène Broyez, conforte enfin ces observations avec celles qu'elle vit au quotidien dans son cabinet d'orthophonie. "Pour que l’apparition du langage et le développement des capacités cognitives s’opèrent normalement l’enfant a besoin de ses mains et d’objets du monde réel (les manipulations répétées permettent la construction de grands invariants tels que la permanence de l’objet, la retrouvabilité et la renversabilité qui seront ensuite les piliers de la construction de la logique et du raisonnement).
  • Or les enfants que nous recevons et qui ont été surexposés aux écrans éprouvent des difficultés à tisser des relations entre les objets qui les entourent et éprouvent des difficultés à décomposer les éléments d’une action. On relève des « trous », des « manques » au niveau de la construction logique que l’on retrouve dans le langage.
  • Le jeu « réel, manipulable » incite l’enfant à découvrir son corps puis l’espace qui l’entoure ce qui l’aidera progressivement à s’inscrire dans la temporalité c’est-à-dire à pouvoir anticiper et rétroagir, à repérer les problèmes liés aux contraintes du réél et à proposer différentes solutions pour les résoudre. A force de construire et déconstruire, l’enfant gagne en flexibilité mentale et peut entrer dans l’imaginaire. Il va petit à petit imaginer, inventer des scénaris de plus en plus élaborés pour glisser progressivement vers la symbolisation (jeu symbolique) puis l’abstraction.
  • Les enfants jeunes que nous rencontrons en cabinet et qui ont été surexposés aux écrans dans la toute petite enfance sont maladroits, mal à l’aise avec leur corps, ancrés dans le présent et incapables de se centrer sur le résultat de leurs actions, ils ont du mal à respecter les tours de parole et à respecter les codes sociaux de la communication. Ces enfants sont souvent incapables de détourner des objets de leur usage premier et éprouvent des difficultés à rentrer dans l’imaginaire. Leur pensée est très flexible, ils ont du mal à trouver des solutions quand ils se trouvent en situation d’échec. Ce sont ainsi des enfants « zappeurs » abandonnant leur jeu à la moindre difficulté, incapables de persévérer, de revenir sur leurs actions pour les modifier, ce sont des enfants qui ont du mal à gérer la frustration et qui ne se centrent pas sur la finalité et les conséquences de leurs actions (cf jeu vidéo)."
En définitive, ce sont des enfants perdus dans le temps et l’espace : bloqués dans « l’ici et maintenant ». Anne-françoise BOUILLETPour bien grandir, le temps doit se vivre et l’espace doit être occupé.

« L’enfant n’est pas un adulte en réduction pour lequel il faudrait adapter les programmes mais un être qui a une relation au monde bien différente de la nôtre. Il a besoin de bras pour le tenir, de partenaires avec lesquels interagir et de jouets en bois ou en plastique qu’il puisse déplacer à sa convenance. » S TISSERON

Pour conclure, Véronique Armbruster présente aux médecins l'outil qui vient d'être crée par l'équipe : le carnet d"Eveil "Vivre en santé avec les écrans" support à l'échange avec les parents. Tous les acteurs qui s'engageront dans cette campagne sur le territoire pourront disposer de ces carnets ludiques, informatifs et interactifs. La remise de ces carnets aux parents, doit nécessairement être accompagnée par la parole. Ils ne sont que des supports pour introduire l'échange ou le développer.


Cette action peut exister grâce au soutien financier de l'Agence Régionale de la Santé, de la Municipalité de Lunéville, de la Caisse d'Allocations Familiales, du Conseil Départemental et de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale.

Cette action existe aussi et surtout grâce à l'engagement de tout un réseau d'acteurs sur le territoire !

Faites suivre !