PETITE ENFANCE |2015

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bébé-jeune enfant©Flickr/Thomas Sauzedde

Lors de la semaine « 1, 2, 3 … Grandir à petits pas », organisée du 16 au 21 mars 2015 par la ville du Pont-de-Claix en Isère, Frédéric Jésu, médecin pédopsychiatre et consultant, a tenu une conférence sur la coéducation.

Compte rendu de son intervention du 17 mars...,

Le bien-être (santé globale) et l’éducation (au sens large) sont les deux grands piliers de l’épanouissement individuel des personnes, notamment des enfants, et du développement social, économique et culturel des collectifs, des sociétés(1).

Mieux et plus précisément encore : la santé et le bien-être favorisent l’éducation, tout comme l’éducation favorise la santé et le bien être. Cette interaction détermine le pouvoir de décider et d’agir, en particulier celui des personnes, des familles et des pays pauvres. L’autodétermination collective que représente la possibilité de « vivre et décider ensemble », comme y appelle le titre de cette conférence, repose sur la capacité d’agir ensemble, ce à quoi contribuent un degré suffisant d’éducation et de santé pour toutes et tous, mais aussi la mobilisation des énergies issues de l’altruisme et de la coopération.

C’est pourquoi on peut distinguer « bien-être » et « beaucoup avoir », dans la mesure où le premier prédispose plus aisément au partage (de l’expérience vécue, mais aussi de la décision et de l’action) que le second (qu’il soit de type capitaliste, redistributif ou caritatif). On observera aussi que, pour être parent, il faut combiner l’expérience d’avoir des enfants avec, bien souvent, celle d’avoir eu des parents.

De même, on peut avoir une maladie ou une infirmité et être ou se sentir bien, et même « en bonne santé », à condition toutefois d’être autonome ou compensé dans ses pertes d’autonomie au sein de son environnement et de son cadre de vie.

L’éveil culturel de l’enfant – pivot de la présente semaine « 1, 2, 3 … Grandir à petits pas » – est rendu possible par le bien-être et il le renforce en ouvrant l’enfant au monde. Dans des conditions de protection garantie et de découverte encouragée, l’éducation entretient cette dynamique d’ouverture et de créativité reconnue, en particulier pendant les nombreux et vastes « temps libres » de l’enfant accueilli en établissement d’accueil de jeunes enfants (EAJE) puis, surtout, de l’enfant scolarisé. C’est ainsi que ces temps libres ne sont pas des temps vides – de même que l’ennui et la rêverie choisis se distinguent de l’inactivité subie – dès lors qu’un projet éducatif les structure.

L’éveil culturel de l’enfant lui donne le goût précoce des liens (en tant que système de relations, de modes d’appartenance à un groupe) et celui de la liberté (de découvrir différentes visions du monde et d’exprimer la sienne). Ces liens qui libèrent ne sauraient prendre la forme de liens qui entravent.

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (préambule de 1946 à la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé). Elle résulte certes de caractéristiques individuelles, mais aussi et surtout d’un environnement favorable, bienveillant, attentif et cohérent, en particulier pour l’enfant. Cet environnement est d’abord familial puis, de plus en plus, extrafamilial, ce qui nécessite une recherche de cohérence entre ces deux univers.

L’éducation combine quant à elle des fonctions tout d’abord de protection, puis de socialisation, de transmission, d’instruction et de formation, et au total d’émancipation. Elle dépend donc elle aussi de l’environnement (familial et extrafamilial, ici encore), et ceci sur toute la durée de la petite enfance, de l’enfance et de l’adolescence.

Les causes et les conditions du bien-être – y compris du « bien-être à l’école » (ou en EAJE) – se manifestent en grande partie avant, après et en dehors de l’école (ou de l’EAJE). Elles concernent en effet la personne globale de l’enfant, et non pas le seul « élève ». A l’âge de l’école primaire, l’enfant ne passe en classe que 9,6 % de son temps annuel total (temps de sommeil inclus) ; autrement dit, 90,4 % de son temps est juridiquement placé sous la responsabilité de ses parents.

En résumé, le bien-être d’un enfant dépend en partie du « bien naître », puis il est polarisé par la question du « bien devenir » à laquelle se consacrent, en théorie, tous les acteurs de l’éducation et, dans une moindre mesure, de la santé :

·         les parents, en premier lieu et sur la durée ;

·         la séquence des éventuels professionnels de l’accueil de la petite enfance, pour certains, puis des professionnels de l’Education nationale, pour tous ;

·         et, aux côtés des uns et des autres, les professionnels éducatifs des collectivités locales et du secteur associatif à vocation éducative (rendus plus visibles dans cette fonction lors des récents débats relatifs à la réforme des rythmes scolaires et éducatifs).

Tous les adultes concernés par la présence ou la proximité d’enfants devraient promouvoir et mettre en œuvre, au quotidien et en tous lieux, une éducation ambitieuse, respectueuse et guidée par trois objectifs :

·         protéger, mais sans enfermer ;

·         instruire par l’initiation au plaisir partagé de la découverte, de la coopération et de l’apprentissage, plutôt qu’aux seuls moyens de la contrainte et de la logique de compétition ;

·         élever et non pas dresser les enfants, c’est-à-dire savoir se mettre à leur hauteur pour mieux accompagner leur croissance et l’exercice progressif de leur citoyenneté.

 Parvenir à la fois à protéger et à émanciper les enfants consiste, à tous les âges, à leur tenir la main en même temps qu’à la leur lâcher. Cette contrainte paradoxale s’adresse en premier lieu aux parents mais aussi à tous les autres éducateurs, professionnels ou non.

·         Cf. aussi l’expression : « parents et professionnel(le)s main dans la main sur une base commune » (extrait de la rencontre parents/professionnel-le-s du 12/01/2015).

·         Cf. encore : l’enfant a deux mains et deux parents (+ des grands-parents , parfois des « beaux-parents », etc.), ce qui induit une multiplicité des combinaisons possibles, qu’elles soient harmonieuses ou conflictuelles.

·         Cf. enfin l’étymologie du mot « émanciper » : ex manus capere (se déprendre de la main).

Atteindre cet objectif complexe et délicat, mais extraordinairement stimulant, ne s’improvise pas. Une telle mission ne saurait donc être confiée :

·         ni à la responsabilité des seuls parents, d’autant que ceux-ci sont plus que jamais mis, depuis une quinzaine d’années, sur la sellette des interpellations relatives à leurs capacités à être de « bons parents », et sont tenus d’en fournir les preuves ou, sinon, de solliciter (ou de se voir prescrire) des séquences de « soutien à la parentalité » ;

·         ni à celle de telle ou telle institution ou catégorie de professionnels, dont les missions spécifiques (mais souvent cloisonnées) et les savoirs savants, bien que légitimés, peuvent entrer en conflit avec les missions générales des parents (définies par le code civil au titre de l’autorité parentale) et leurs savoirs profanes, et ne suffisent pas à toujours rasséréner ceux-ci ;

·         mais à un ensemble d’acteurs fédérés et motivés et donc, si possible, solidaires et coordonnés : d’où la référence à la coéducation.

Il s’agit donc déjà, afin de mieux « vivre et décider ensemble » pour et avec un enfant, de prendre acte de ce qu’un enfant est exposé et participe à plusieurs « scènes éducatives » (cf. les travaux du sociologue Pierre Moisset), au sein de sa famille (famille élargie, famille recomposée, etc.) et auprès des professionnels de l’éducation, et qu’il passe en permanence des unes aux autres de ces scènes, qui sont aussi des espaces-temps : dans la journée, la semaine, l’année, le cours de son enfance et de sa jeunesse.

Coéducation

Définition de la coéducation : « coéduquer, c’est donner ou recevoir une éducation en commun » (Larousse du XXème siècle, édition de 1929).

La coéducation n’est ni un néologisme, ni une idée très « moderne ». De fait, l’idée de « donner ou recevoir » quoi que ce soit « en commun » s’est idéologiquement démodée, ces dernières décennies, face aux valeurs du consumérisme et de l’individualisme triomphants – dont on mesure aujourd’hui les limites. Elle est mise à mal, également, par les primats de la compétition sur la coopération, du dépistage individuel des problèmes sur leur prévention collective, ou encore de la « réussite éducative » de tel ou tel « élève » en difficulté sur les progrès de l’ensemble des enfants d’une classe ou d’une école.

Bref historique du contexte d’apparition et d’évolution du concept de « coéducation » :

·         on dit traditionnellement, en citant le fameux proverbe wolof, qu’« il faut tout un village pour élever les enfants » ; mais cette approche est rendue obsolète par les phénomènes d’urbanisation et de spécialisation / cloisonnements des fonctions éducatives (en outre, une crèche, une halte-garderie, une école sont-elles l’équivalent d’un village, ou une communauté échangeant avec son environnement, ou un « sanctuaire » ? : question « clef », en ce sens qu’elle est la clef en fonction de laquelle on tend à ouvrir ou à fermer la structure éducative vis-à-vis de son environnement) ;

·         la coéducation est d’abord, au début du XXe siècle, l’éducation en commun des garçons et des filles (internats scolaires ou éducatifs, mouvements scouts, camps de vacances), puis elle est reprise par les pédagogies coopératives en milieu scolaire (Freinet, etc.) : autant d’avancées d’ailleurs non stabilisées à ce jour, si l’on en juge par les récentes crispations plus ou moins obscurantistes à propos des « ABCD » de l’égalité, et la marginalisation persistante des pédagogies coopératives par l’Education nationale ;

·         beaucoup plus récemment, la notion de coéducation vise la reconnaissance du partage de l’éducation entre parents et professionnels, d’abord dans le champ scolaire (FCPE) puis dans celui de l’accueil de la petite enfance (ACEPP, crèches parentales où les parents sont les employeurs et les partenaires au quotidien des professionnels) : un partage prometteur mais parfois ambigu et en tout état de cause encore bien loin d’être systématisé et clairement institutionnalisé ;

·         l’essor plus récent de la référence à la coéducation signale l’accent progressivement mis sur l’importance (voire l’impératif social ?) de multiplier les ressources relationnelles des enfants en matière d’éducation et de valoriser cette abondance, et ceci dans un contexte d’anxiété parentale accrue quant à leurs propres « compétences » actuelles et quant au devenir de leurs enfants (cf. rencontres parents/professionnel(le)s des 12 et 13/01/2015 : « Qui peut dire si ce que l’on inculque aux enfants est bien, alors que l’on ne connaît pas le monde dans lequel ils évolueront une fois adultes ? » et « Qu’est-ce qui pourra être transmis à l’enfant sur son chemin par les personnes qu’il rencontre ? »).

 Actualité et perspectives de la coéducation

·         La coéducation pour mieux penser et mieux se situer dans les réorganisations des structures familiales contemporaines : séparations parentales, recompositions familiales , beau-parentalité, homoparentalité, etc., et pour mieux guider et évaluer tant les dispositions législatives que les pratiques professionnelles au quotidien à ce propos (par exemple : inscription en crèche ou à l’école, information des deux parents voire des beaux-parents sur les décisions importantes, les soins à entreprendre, etc.) ;

·         La coéducation comme principe de référence des processus politiques et institutionnels de projet éducatif local (PEL)/projet éducatif de territoire (PEdT), associant parents, État et enseignants, communes et animateurs, associations d’éducation populaire, culturelles, sportives, etc.) ;

·         Le triple intérêt à cet égard de l’ouverture des PEL/PEdT au domaine de l’accueil (au sens large) de la petite enfance :

1.    intégrer les enfants de 0 à 3 ans dans le champ de mobilisation des acteurs locaux de l’éducation, en sortant de la sorte de la tendance au scolaro-centrage de celle-ci (idem pour une partie des 16-18 ans, d’ailleurs) ;

2.    prendre en considération les jeunes enfants qui ne fréquentent pas d’EAJE en s’intéressant aux équipements municipaux collectifs qui les concernent cependant, ainsi que leurs parents et leurs assistantes maternelles (ludothèques, bibliothèques, espaces verts, LAPE, RAM …) (Cf. à ce sujet les rencontres parents/professionnel(le)s des 12 et 13/01/2015) ;

3.    favoriser par conséquent, pour tous les jeunes enfants, en EAJE ou sans EAJE, l’« épanouissement de l’enfant avec des découvertes dans les structures autres que celles vécues dans la sphère familiale, ouverture supplémentaire pour l’enfant » « l’ouverture des portes », « l’ouverture sur d’autres pratiques ; l’ouverture à la culture », « l’échange mutuel de savoirs entre parents et professionnelles, l’ouverture sur les autres ; le fait de confier l’enfant lui ouvre des portes et l’ouvre sur la société. Et parallèlement, les familles nous ouvrent des portes aussi par leur savoir-être, leur savoir-faire et leur diversité. (1 prof.) », les liens avec « l’école : prolongement de la structure petite enfance, institution qui va suivre les enfants durant de longues années, lieu d’expérimentation en dehors de la famille et qui contribuera à forger son caractère. Comment aide-t-on l’enfant à créer ses propres maillons ? » (toutes ces citations issues de la rencontre parents/professionnel(le)s du 12/01/2015 valorisent fortement la référence aux « ouvertures »)

Acteurs de la coéducation

·         Tous les adultes contribuant à un moment ou un autre aux principales fonctions de l’éducation (protection, socialisation, transmission, instruction, formation, émancipation) : les parents sont donc les pivots de la coéducation sur la durée.

·         Les enfants, même très jeunes, sont potentiellement coéducateurs les uns des autres. Cf. à ce propos l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant et l’article 371-1 du code civil sur le droit des enfants à voir pris en compte leurs points de vue sur les décisions (institutionnelles ou familiales) qui les concernent, selon leur âges et degrés de discernement.

Enjeux de la coéducation

(Cf. la rencontre parents/professionnel(le)s du 12/01) :

·         Pour les enfants : cohérence voire continuité éducatives, réduction des conflits de loyauté, au sein des familles, mais aussi au sein des institutions, et entre les familles et les institutions (cf. : « même direction, même chemin, même sens de la route, pour mieux progresser ensemble, valeurs sinon communes du moins compatibles, besoin de cohérence sur les règles, les codes, les interdits »).

·         Entre les enfants : coopération plutôt que compétition, plaisir de la découverte accompagnée plutôt que tensions et contraintes liées à une évaluation vécue comme non bienveillante, partage de l’élaboration et de l’appropriation des règles de vie communes.

·         Pour les adultes : respect et confiance mutuels, changements de posture (côte-à-côte plutôt que face-à-face ou dos-à-dos ; accompagnement plutôt que guidance, suivi, supervision ou soutien des parents) (cf. « L’écoute mutuelle, la construction, dans le temps, de liens de confiance, de sécurité, de bienveillance, d’empathie » – rencontre parents/professionnel(le)s du 12/01/2015, qui bénéficient aux adultes mais aussi aux enfants dans la mesure où bienveillance et bientraitance s’avèrent facilement « contagieuses »).

·         Plus généralement encore : enjeu de démocratisation des relations éducatives et de mise des parents en position active et participative ; il s’agit de faire avec eux plutôt que sans – voire contre – eux, ou encore à leur place, ou en les « soutenant » (eux-mêmes ou leur « parentalité »), en les guidant, etc. ; autrement dit de reconnaître la différence des places et de définir et partager les rôles (entre parents et professionnels), mais sans hiérarchiser ces places et ces rôles, et en particulier en s’intéressant aux compétences plutôt qu’aux défaillances (parentales, mais aussi professionnelles).

·         Pour autant, une certaine dose et des occasions de conflictualité peuvent se manifester dans le cadre des relations coéducatives, et notamment au sein des familles (entre parents, entre parents et grands-parents) : le contraire serait étonnant, voire même suspect, évoquant plutôt, par exemple, des relations de coalition des adultes à l’encontre des enfants qu’une dynamique coéducative réellement ouverte à tous. D’où l’importance des modalités d’engagement et d’entretien des démarches de coéducation authentique, ouverte à la gestion des désaccords et le cas échéant des conflits.

Modalités de la démarche de coéducation

·         Elles se déduisent de la définition des acteurs et du repérage des enjeux.

·         La coéducation est un principe, une méthode, une éthique, mais pas un objectif en soi.

·         La métaphore de la « table ronde de la coéducation », composée et animée dans une perspective de participation authentique des acteurs aux réflexions et aux décisions précédant les actions, et autour de six principes incontournables (les trois premiers visant la coopération des acteurs, et les trois suivants la démocratisation de leurs relations) :

1.    exhaustivité de la composition de la « table ronde » selon les objectifs visés : tous les acteurs concernés par ces objectifs sont présents ou représentés (y compris, par exemple, les chauffeurs de cars scolaires, les cuisiniers des crèches et des restaurants scolaires, les gardiens de square, les gardiens d’immeuble, etc.) ;

2.    cohérence des acteurs : spécificité et complémentarité des rôles et des fonctions de chacun (chaque acteur est une ressource pour tous les autres, et ils le sont tous pour lui), et entretien permanent de ces postures institutionnelles et de ces dispositions d’esprit ;

3.    non-confusion des acteurs : chaque acteur est à sa place, distincte de celle des autres, sans occuper la place d’un ou plusieurs autre(s) (et entretien permanent de ces postures institutionnelles et de ces dispositions d’esprit) ;

4.    transparence : chacun voit et entend tous les autres et chacun est vu et entendu de tous les autres ;

5.    non-hiérarchisation des rôles, des fonctions et des points de vue : aucun point de vue exprimé n’a, a priori, plus de valeur ou de légitimité que les autres ;

6.    participation, dès que possible, des enfants eux-mêmes : leur place logique (et acceptable par eux) n’est pas « au centre » de la table ronde, mais autour d’elle, d’une façon ou d’une autre, comme ou avec les adultes, et ceux-ci doivent se donner les moyens de recueillir, entendre et prendre en compte leurs points de vue.

·         La métaphore de la « table ronde » peut se concrétiser par l’exemple d’un conseil de crèche, mais aussi par les processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation concertées d’un PEL ou d’un PEdT.

Remarques sur la spécificité de la coéducation dans le cadre des établissements d’accueil de la petite enfance (cf. la rencontre parents/professionnel(le)s du 13/01/2015, et les travaux de Pierre Moisset).

·         Une structure d’accueil de la petite enfance (et même une crèche parentale) n’est pas un « village » où tous les adultes se partagent les mêmes tâches au sein de la communauté. Elle peut être une communauté éducative, certes, mais rien ne peut faire oublier les différences entre :

1.    les parents qui s’adressent à un service avec un besoin et/ou une demande d’accueil fiable et de qualité (et non pas, a priori, de « soutien à la parentalité ») ;

2.    les professionnels qui répondent à ce besoin et/ou cette demande en organisant l’accueil de la petite enfance sous forme de service rendu à la fois aux enfants et, d’une autre façon, aux parents (mais sans se laisser enfermer pour autant dans une fonction et une posture de domesticité).

·         Comment, en adoptant quels positionnements, les professionnels peuvent-ils coopérer dès lors avec les parents sans « coller » aux attentes des parents :

1.    quand elles s’expriment sur un mode consumériste (parents donneurs d’ordres) voire conflictuel ? (2)

2.    quand elles s’expriment sur le mode de l’incompétence alléguée ou présumée (parents demandeurs de savoirs qu’ils disent ne pas avoir) ? (3)

3.    quand elles ne s’expriment pas, sur le mode des apparences de la « démission » ou de la « délégation » massive (parents laissant faire sans rien dire ni demander) ? (4)

 Au total (et toujours dans le champ de l’accueil de la petite enfance) :

·         il importe que s’organise une mise en réseau ou en table-ronde des acteurs (et donc des circonstances) de l’éducation, chacun étant à sa place non pas en fonction de son seul statut – de parent, de professionnel – mais de son rôle éducatif propre auprès de l’enfant, dans l’intérêt supérieur de celui-ci ;

·         les professionnels le sont moins de la petite enfance que de l’accueil de la petite enfance. Ils accueillent certes des parents, mais d’abord et surtout des parents d’enfants accueillis. Ils assurent avec eux un partage d’expertises et d’expériences, nécessairement différentes et probablement complémentaires, mais il s’agit d’un partage qui vise avant tout à rendre cet accueil possible, qui ne l’assimile pas à une délégation de compétences et de responsabilités et qui ouvre différentes pistes de coéducation (sachant qu’il y a plusieurs modalités de coéducation, mais pas de modèle : la créativité des coéducateurs peut être librement sollicitée selon les contextes et les circonstances, combinant chaque fois ambition et réalisme) ;

·         dès lors, cet accueil n’est pas statique, rigidifié par les statuts de chacun, mais il ouvre à une circulation possible de l’enfant entre plusieurs espaces-temps éducatifs et reconnus comme tels (un square, un jardin partagé, une ludothèque, un atelier cuisine, un séjour de vacances familiales, etc. sont des espaces-temps éducatifs dès lors qu’ils sont intégrés et investis comme tels par un projet en ce sens) ;

·         en outre, cet espace de circulation, rendu propre à chaque enfant, est aussi un espace de socialisation où figurent et sont rencontrés d’autres adultes (que ses parents) et d’autres enfants (que ceux de sa famille et du réseau social de celle-ci) et avec lesquels se produisent des échanges : cet espace de socialisation constitue le domaine d’expertise et d’expérience propre aux professionnels, dans le cadre du projet pédagogique dont ils sont les porteurs les plus légitimes – même si ce projet pédagogique se réfère à un projet éducatif délibéré et partagé avec les parents, dans un esprit de service public (ou associatif agréé).

Idéalement, en effet, le projet éducatif de la structure devrait être défini dans un cadre politique de coéducation démocratique, soit qu’il soit soumis à la « table ronde » d’un conseil d’établissement, soit qu’il vise à prendre place dans un processus communal ou intercommunal de PEL ou de PEdT avec l’ensemble des acteurs de l’éducation – dont les parents – qui s’y investissent. Il s’agit au total que tous puissent « vivre et décider ensemble », pas seulement pour mais aussi, et dès les premiers âges, avec les jeunes enfants.

Note (01)

Le contenu de cette conférence a été préparé et orienté par les réflexions issues de deux réunions de parents de Pont-de-Claix, tenues les 12 et 13 janvier 2015 et animées par des professionnelles de la petite enfance, et dont certains verbatim sont repris dans le texte ci-dessus. - Retourner au texte

Note (02)

Une équipe peut être amenée à coéduquer en refusant d’accéder à/de mettre en œuvre certaines demandes des parents, par exemple en matière de préoccupations liées à l’alimentation, à la propreté, au sommeil. L’équipe décide de protéger l’espace d’accueil de la prise en compte de ces préoccupations (les repas, la mise au pot ou non, le sommeil sont organisés et le cas échéant personnalisés selon les modalités habituelles de la structure). Il y a néanmoins coéducation si cette décision est explicitée aux parents et prise en accord avec eux. Si bien que l’enfant se sent autorisé à vivre des expériences différentes selon la sphère éducative (familiale ou institutionnelle) où elles se déroulent, mais sans éprouver de conflits de loyauté ni assister à un conflit de compétences affiché entre et par les acteurs, lesquels agissent chacun à leur façon mais dans le respect mutuel et dans le respect de la personne et de l’intérêt supérieur de l’enfant. - Retourner au texte

Note (03)

Une équipe peut être amenée à coéduquer même lorsque les parents disent qu’ils se sentent incompétents et qu’ils demandent un transfert de savoirs professionnels. En échangeant avec eux sur ce que ressent l’enfant, en évoquant les différentes façons de répondre à ses besoins de façon personnalisée – plutôt que savante et experte –, en passant par des supports intermédiaires (brochures, jeux partagés sur place, etc.), il est possible de permettre aux parents de se sentir peu à peu actifs, créatifs, pertinents, sans reproduire pour autant les points de vue et les gestes des professionnels. - Retourner au texte

Note (04)

Une équipe peut être amenée à coéduquer même lorsque les parents ne le souhaitent pas a priori, et qu’ils ne cherchent pas à échanger avec l’équipe. Il convient alors d’essayer de comprendre et non de juger l’attitude des parents et de se comporter spontanément avec l’enfant, sans se laisser détourner ou inhiber par la réserve ou l’autonomie parentales et en s’autorisant à « penser sans eux » ce qu’il en est de l’enfant et de son bien-être tout en acceptant aussi d’avoir besoin de connaître le point de vue des parents (même si cela ne semble pas réciproque) et en ayant même l’humilité de le leur dire au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. - Retourner au texte

Approfondir le sujet

Présentation du conférencier

Médecin pédopsychiatre de service public de 1979 à 2014, Frédéric Jésu a également exercé diverses fonctions de chargé de mission, pendant quinze ans, auprès de ministères, de départements et d’une grande ville, dans le champ de leurs politiques sanitaires, sociales, familiales, éducatives. Consultant et formateur, depuis 1999, pour accompagner la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de politiques sociales, familiales ou éducatives locales, il est par ailleurs militant associatif engagé : en tant que vice-président de l’ONG DEI France (section française de Défense des Enfants International), dans la promotion et l’application concrète, en France, de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ; et, en tant que co-fondateur et co-président d’un centre social et culturel, dans l’actualisation et le développement des valeurs de l’éducation populaire. Depuis une quinzaine d’années, ses ouvrages et ses publications portent, pour l’essentiel, sur la bientraitance institutionnelle, sur le développement social local, sur la coéducation, sur la « parentalité » et la condition parentale, sur la participation des parents, des enfants et des jeunes aux politiques qui les concernent et sur la démocratisation des relations éducatives. Il a notamment publié « Coéduquer – Pour un développement social durable » (Dunod, 2004). Ouvrage à paraître : « Démocratiser les relations éducatives (dans et entre les familles et les institutions) ».

Thèmes abordés

·         Enfance / Famille

·         Petite enfance

·         Protection de l'enfance

 

 

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