CLEF 54 Coordination Lunévilloise Enfance Famille
Parents, enfants, professionnels, coéduquer pour vivre et décider ensemble
Parents, enfants, professionnels, coéduquer pour vivre et décider ensemble
Source : Libération
Questions/réponses entre des parents et des enseignants et le philosophe Yves Michaud sur l'autorité en classe
Claude : Quand vous dites asseoir l’autorité, qu’est-ce que vous entendez par là?
Yves Michaud. Asseoir l’autorité, c’est d’abord être clair intellectuellement sur ce qu’est l’autorité, et, ensuite, avoir les moyens pratiques d’en faire preuve.
Chantal. La véritable autorité ne vient pas de celui qui l’impose: Le prof qui sait faire travailler ou apprendre est celui qui s’efface, donnant aux apprenants les outils pour qu’ils se construisent leur savoir (souvent sans lui) qu’en pensez-vous?
Ce que vous dites est l’idéal. En réalité, avant d’en être là, il faut justement que l’élève entre dans la relation pédagogique et ça, c’est une affaire en partie d’autorité et de considération.
Manu. Pourquoi les professeurs n’ont-ils plus d’autorité?
Fondamentalement parce que les conditions sociales de la relation pédagogique ont changées. Dans des temps pas si éloignés, il y avait le temps familial et le temps de l’école. Aujourd’hui, il y a un peu de temps familial, souvent déstructuré, le temps de l’école, puis, le temps de toutes les autres activités et de la relation avec les copains. Les normes de l’école sont constamment concurrencées...,
Gino. Les gamins l’autorité, ils s’assoient dessus, et ils ont le concours des parents. Ces derniers font corps pour contester l’autorité légitime de l’enseignant, et leur message explicite ou implicité a de l’impact. En ZEP, depuis 20 ans, ils ne nous restent que l’ataraxie ou le découragement…
C’est peut-être votre expérience, mais on constate aussi souvent que les jeunes sont en demande d’autorité et, justement, poussent le défi jusqu’au moment de la trouver, y compris sous forme répressive. Je crois qu’il y a tout un ensemble de conditions de l’autorité à reconstruire, notamment dans la relation avec la famille. Je veux dire la relation de l’école avec la famille.
Liliane. Comment vous est venue l’idée d’organiser des conférences sur ce sujet dans les lycées? C’est l’Education nationale qui vous en a fait la demande?
Pas du tout. Un certain nombre de demandes nous ont été directement adressées à l’Université de tous les savoirs pour traiter devant des professeurs les questions du respect et de l’autorité. A partir de là, nous avons voulu élaborer une offre plus subtile qui réunirait: approche conceptuelle et approche pratique. Cette offre a été bien accueillie par l’Education nationale, mais elle vient initialement de nous, répondant à la demande de certains établissements.
Zanospi. Et comment réétablir cet ensemble de conditions entre l’école et la famille ?
Très concrètement. La communauté éducative, l’école, doit instaurer des relations périodiques avec les parents. Ça ne veut pas dire que la relation directe entre le professeur et les parents n’ait plus d’importance. Mais je crois qu’il fait partie des missions de l’école aujourd’hui d’entrer collectivement en relation avec les familles, et non plus sous la forme des relations avec les associations de parents d’élèves.
J’appellerais ça une «relation communautariste», il y a un besoin de communauté entre l’école et la famille. Il vient d’y avoir des expériences en ce sens, menées par des sociologues et qui montrent que c’est un projet réalisable.
Ninon. Dans leurs études, les futurs enseignants sont-ils formés à l’animation de groupe?
Je crois que non. La formation est essentiellement pédagogique, et tournée vers le programme et la composition des cours, mais il n’y a pas d’approche des cours en situation, et c’est ce que nous essayons de fournir.
Z. Le problème n’est-il pas tout simplement que les effectifs sont trop importants? 35 parents dans une petite salle inconfortable ne tiendraient pas eux-mêmes en place une journée entière de cours, c’est inhumain. Par petits groupes on peut travailler ensemble, ce qui évite l’ennui. Si je suis parmi 35, je ressens immédiatement que je suis l’objet d’une éducation standardisée bon marché, je me sens nié comme sujet singulier.
Sur ces questions d’effectifs, je suis d’accord. Maintenant, toutes les classes ne sont pas aussi surchargées, et même dans les classes à faibles effectifs, il y a des problèmes de discipline, la question est donc plus générale.
JPdram. N’y a-t-il pas difficulté à instaurer un rapport d’autorité quand les contenus à transmettre ne font plus sens pour les jeunes? quand, pour être plus précis, ils ne voient pas pourquoi il faudrait plus étudier tel ou tel auteur? quand, l’idée de Culture au sens de culture de soi, semble ne plus être perçue comme ce qui fonde le fait d’aller à l’école et même d’être prof ?
Il y a effectivement tout un travail à faire sur les programmes, mais il est souvent en cours de réalisation, car les possibilités d’innovation sont aujourd’hui assez larges, ce qui faut mettre en cause parfois, c’est la routine dans laquelle on s’est installée, et pas seulement les profs. D’autre part, il est important que les enfants retrouvent l’idée qu’en travaillant à l’école, ils peuvent faire quelque chose. Il y a en ce sens une sorte de découragement ambiant dans certains endroits qui est très handicapant.
Juju. Est-ce que l’autorité en classe doit être abordée de manière différente face à un public de jeunes adultes déjà majeurs (IUT, Licence, BTS, etc.) ?
En un sens, c’est pas toujours si différent. Il m’arrive de faire des interventions devant des cadres d’entreprise, ils ne chahutent pas, mais retenir leur attention est aussi difficile, parfois, que devant un public de lycée. Il y a un problème générale de l’attention dans nos sociétés, compte tenu des changements technologiques, notamment. Devant des cadres d’entreprise, on n’utilise jamais un tableau noir, parce que l’utilisation d’un tableau c’est une rupture de communication, on tourne le dos à son public.
Dom. Etes-vous pour un retour à l’autorité à l’école telle qu’elle était appliquée jusqu’en 1968?
Sûrement pas, parce que les conditions ont tellement changées. En revanche, il faut, par exemple, que les professeurs retrouvent le respect des élèves, et cela repose sur un certain nombre de comportements assez simples.
Olsown. J’enseigne à l’université, et je suis surpris de voir d’année en année (particulièrement ces deux dernières années), les attitudes et les comportements des étudiants en classe se dégrader : impolitesses, réponses impertinentes, voire moqueuses à mes remarques, etc. C’est plus un constat qu’une question.
C’est tout à fait normal que les mauvaises habitudes prises antérieurement se transmettent en aval, on a exactement le même problème pour la consommation de drogue dans les entreprises.
Fabien. Pour faire avancer les choses, pensez-vous qu’il faille généraliser ce type de débat dans tous les lycées?
Généraliser de manière bureaucratique, non, mais selon les besoins locaux et les demandes, oui. Mais surtout pas d’initiatives ministérielles généralisées. En revanche, faire savoir qu’il y a des ressources pour traiter ces questions. Il faut bien être conscient que la situation en France est très, très différente, selon les lieux, les régions, les origines familiales. Il n’y a pas l’Ecole, mais chaque fois des cas différents.
Tit. Le problème du respect ne vient-il pas de notre société qui valorise le jeunisme et non plus les vieux sages, la rapiditié/le zapping et non plus la reflexion, le coup d’éclat et non plus le débat, bref toutes les valeurs de l’école sont contraires au mode de vie actuelle?
Tout à fait d’accord, sauf que beaucoup de jeunes sont les premiers à demander reconnaissance et respect. Il est important de leur apprendre que ça peut être des obligations réciproques.
Magritte. Je cauchemarde en rêvant que certaines de mes classes échappent à mon autorité, les élèves se mutinent et refusent en bloc d’obéir: la dépression me guette-t-elle ?
C’est l’angoisse de tout professeur, parce que l’autorité tient à très peu de choses, et il suffit que ça se dérègle pour que tout échappe. C’est justement ce que nous essayons de montrer dans nos sessions, en essayant de pointer les étapes sensibles.
Magritte. Doit-on attendre d’être en dépression pour comprendre que l’on n’a plus d’autorité sur une classe? Quel est alors le rôle de l’entourage (collègues) ?
Ce que nous constatons, c’est que la résilience des enseignants dépend beaucoup de l’effet de communauté, et notamment du partage des expériences, y compris les expériences d’échec et d’angoisse. Les conditions de formation et de recrutement des enseignants ont jusqu’ici été fortement individualistes. Ce sur quoi nous insistons, c’est la nécessité de la solidarité et de la concertation entre collègues. Souvent, les enseignants n’ont pas la même conception de l’autorité ni la même pratique et les élèves savent très bien en jouer.
Olsown. Mais du coup, cela m’oblige à intégrer dans ma pratique d’enseignant, la transmission de valeurs et de comportements, bref, j’ai l’impression de devoir devenir un éducateur, alors que je suis d’abord et avant tout formé pour (et par) la recherche…
En un sens, c’est vrai. Mais nous devons aujourd’hui, à tous les niveaux, intégrer éducation et transmission. D’ailleurs, quand je fouille dans mes souvenirs, je me rends compte que beaucoup de mes meilleurs professeurs, y compris à l’université, étaient avant tout des éducateurs, je pense en particulier à mon maître Georges Canguilhem.
Fetoile. Est-il scandaleux de dire que l’autorité du professeur et le respect qu’il génère, ou non, chez les élèves vient aussi d’une «paupérisation» du métier? Sans remonter à la 3ème République et au statut du professuer et de l’instituteur hyper valorisé, maintenant, mis à part pour les famueuses vacances, personne n’envie plus le prof, parce qu’on sait notamment qu’il ne fait plus partie des gens respectés dans la société et rémunérés en fonction?
A bien des égards, c’est vrai. Le manque de prestige des professeurs tient aussi à leur déclassement économique, dans une société qui valorise surtout l’argent, mais ce n’est pas une raison pour en rajouter dans la prolétarisation. Et parfois, quand nous voyons des professeurs habillés à l’as de pique, nous nous disons qu’ils doivent encore avoir plus de mal à exercer leur autorité.
Merci à tous, espérons que je ne vous ai pas trop choqué, mais je n’ai pas l’habitude de la langue de bois!
Voir aussi :la-discipline-et-les-punitions-source-de-mecontentements-pour-les-parents
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