Elisabeth Bautier, linguiste, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Paris 8, est responsable du groupe ESCOL. Elle travaille à la compréhension du rôle du langage dans la différenciation des apprentissages et dans le rapport des élèves à l’école et aux savoirs.

Les enfants ne sont pas égaux face à l’oral, comment repérer quelles sont leurs difficultés ?...,

Dans l’analyse des productions et des conduites des élèves à l’oral, donc de leur évaluation, il est important de centrer l’attention sur des grandes conduites de langage (sur des manières de faire avec le langage) qui sont fortement différenciatrices. Les élèves qui réussissent à l’école savent mettre en œuvre cette capacité apprise à construire des liens entre les différents moments de leurs expériences pour construire de nouveaux savoirs à l’école et pas seulement pour partager ou exprimer du " déjà là " vécu ou appris. Ainsi, on peut observer telle élève qui réfléchit à partir des interventions de ses camarades pour revenir, plusieurs minutes après, sur ce qui l’interroge dans le propos d’un élève (ce qui manifeste la réflexion qu’elle a menée entre-temps). D’autres élèves, au contraire, interprètent la situation comme les obligeant à " répondre à l’enseignant " et comme offrant une possibilité de faire part de leur expérience. Leur participation se limite alors souvent à une seule intervention ; ayant répondu à la question de la maîtresse, ils ont peut-être le sentiment d’avoir satisfait à ses attentes et de s’être acquittés de la tâche requise. La crainte que l’on peut avoir est que cette interprétation des situations scolaires, si elle est récurrente, les enferme dans les seuls récits de leur vécu et de leurs sentiments personnels, sans leur permettre d’entrer dans les échanges avec les autres et " donc " sans leur permettre d’entrer dans des démarches d’élaboration de quelque chose de nouveau.

Tel autre élève peut illustrer une autre conduite à la fois langagière et scolaire : le bon élève typique, celui qui sait et qui sait à l’avance. Il s’agit pour lui de prendre la parole pour affirmer, parfois pour les autres, des savoirs-vérités, de se situer comme "bon élève" aussi sans doute. Les enseignants s’appuient souvent sur ce genre d’élèves parce qu’ils leur permettent de faire avancer la classe grâce à ces savoirs extérieurs à l’immédiat de la classe dont ils sont porteurs. Mais, de tels élèves qui ne s’engagent pas toujours eux-mêmes dans les dimensions cognitivo-langagières de l’oral peuvent même, du fait de leurs réponses affirmées, gêner les autres dans leurs tentatives d’élaboration et se gêner eux-mêmes en s’empêchant tout déplacement avec les autres.

Quelle forme peut prendre l’apprentissage de l’oral pour pallier ces difficultés ?

L’enseignant doit préparer des situations, des activités où l’enfant construit avec le langage, va plus loin, apprend. C’est à partir de là que l’enfant apprend la langue puisqu’il va être obligé de rechercher des mots et la syntaxe qui lui seront nécessaires pour expliquer, dire une situation particulière, nouvelle. Les situations d’oral ne peuvent pas être limitées à celles qui apprennent aux élèves à prendre la parole, qui leur donnent des règles d’échanges verbaux, des règles de socialisation. Sans doute, les enseignants devraient ils être mieux formés à la compréhension de toutes ces dimensions du langage, qu’elles soient intellectuelles, sociales, culturelles... pour mieux appréhender les liens entre appartenance sociale et production de langage, entre production langagière et apprentissage de la langue, mais aussi entre formes linguistiques et apprentissages.

Quelle importance l’enseignant doit-il donner à la forme du langage oral dans ce type de situation ?

Si l’on se place uniquement du point de vue de la cohérence, du choix des mots, la production de certains élèves, ceux qui "travaillent" justement avec la langue et le langage, peut apparaître "fautive". Cependant, dans ce genre de situation d’interactions, il est important de ne pas considérer les difficultés linguistiques ou même langagières, des élèves seulement comme des "insuffisances", mais de les penser comme leurs tentatives de mettre en mots leurs questionnements et de leur laisser le temps de construire cette élaboration. C’est à ce moment que l’aide de l’enseignant est sans doute nécessaire pour procurer aux élèves non seulement les moyens linguistiques qui peuvent leur manquer, mais les critères de corrections et de choix lexicaux et syntaxiques qui ne sont donc pas réductibles à des normes qui apparaissent souvent arbitraires.

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