« Pas de loi sans lien, pas de lien sans loi »
Quand on devient parent, on devient responsable d’un autre que nous. Une tâche parentale difficile avec un enjeu éducatif en corollaire (...). Le psychothérapeute Jean-Luc Tournier, donnera une
conférence le 14 octobre prochain à Einville au jard.

Quel homme deviendra ce petit garçon qui n’a pas été désiré ou cette petite fille qui n’a jamais été encouragée à prendre sa place dans la société ? Comment s’en sortira cet autre à qui l’on donne tout avant même qu’il ne demande quoi que ce soit ? Et que se passe-t-il quand l’autorité parentale est trop rigide, cassante, lourde de trop de “non”, ou à l’inverse, quand l’enfant n’est freiné par aucune limite ?

 ,L’indispensable “oui” d’amour

C’est autour de ces 4 axes, sur l’échelle du “pas assez” et du trop de “oui” et de “non”, que Jean-Luc Tournier balaye la problématique des limites à fixer aux enfants vers un juste milieu, sachant qu’il n’existe aucune fiche type en matière d’exercice de la parentalité. Nous avons assisté à son intervention “Dire oui, dire non... à propos des limites à donner aux enfants” et au débat qui a suivi avec la salle, mercredi dernier à l’hémicycle du Département. Se référant à son vécu de père de 4 enfants, « 4 problèmes », tous différents, à son enfance, à ses patients, Jean-Luc Tournier, loin de “psychothérapeutiser” son propos, parle de la vie, renvoie aux questionnements quotidiens des parents dans leur mission éducative. Et il entame son histoire par le premier “oui” que les parents ont donné aux enfants : l’indispensable “oui” d’amour. Ce n’est pas un “oui” verbal, mais une attitude, une position, un “oui” du corps. C’est la permission de vivre, d’exister, de penser, de grandir, de permettre à l’enfant de prendre sa place dans la famille et plus tard, dans la société. Seulement, lorsque les parents sont en conflit ou fragilisés par manque de travail, d’argent, ou que la future mère sera seule à assumer sa maternité..., l’enfant n’est pas toujours attendu, désiré ; la naissance n’est pas toujours une source de joie, mais d’ennuis. Et dans le ventre de sa mère, il le sait déjà. Lorsqu’un enfant est le bienvenu, il bouge dans le ventre, il prend toute sa place. Dans le cas contraire, il ne veut pas déranger, limite sa vitalité et gardera cette attitude en grandissant. Ce sera un enfant rangé, calme, facile, et les parents se féliciteront de ce qu’ils interprètent comme de la maturité précoce, mais qui révèle en fait un manque de confiance, une dépréciation. L’enfant qui n’a pas été désiré pourra fort bien, à 65 ans, douter encore de ses capacités. Et l’enfant qui n’a pas assez de “oui”, d’encouragements, de reconnaissance pourra compenser plus tard ce manque initial par une dépendance malsaine à la drogue, l’alcool, à la nourriture. De plus, si l’on ne donne pas ce premier “oui”, l’enfant aura du mal à entendre le “non” qui lui semblera trop rigide. Alors, on dit aujourd’hui que les pères ne savent pas dire non, mais savent-ils déjà apporter ce “oui” ?

 

Le trop de “oui” ou l’enfant tyrannique

Le trop de “oui” traduit par contre une situation où l’on donne trop à l’enfant. Jean-Luc Tournier fait état du cas d’un de ses patients qui, à 40 ans, avec une situation professionnelle qui l’épargnait du manque, avec un bon état de santé, était néanmoins malheureux comme une pierre, en proie à une grande solitude. Sa mère, seule pour l’élever, lui a tout donné, anticipé sur ses moindres désirs à tel point qu’il n’a jamais été frustré, n’a jamais manqué de rien. Comment une autre femme peut-elle, après ça, rivaliser avec une mère aussi “merveilleuse” ? Quand un enfant n’est pas frustré, il a parfois plus de difficulté à vivre qu’un enfant qui a connu le manque et qui sait se débrouiller. Trop de “oui” conduit l’enfant à la passivité tant il a l’impression que les choses vont toujours lui être servies. Mais il suffit d’une séparation dans le couple, de l’arrivée d’un autre enfant pour qu’il devienne tyrannique, usant des cris et du chantage pour réclamer ce qu’il considére être son dû. Lorsqu’il se roule par terre à la caisse du supermarché car il n’a pas obtenu son bonbon, il sait qu’il va générer la panique chez le parent, sait qu’il a une emprise sur lui. Si le parent cède, l’enfant sait alors qu’il cédera encore. Forcer le parent à donner conduit le futur adulte à adopter un comportement antisocial avec tout le monde. Et ce trop de “oui” est, selon le Docteur Tournier, à l’origine de certains comportements délinquants. 

Bouder : réponse à une éducation trop rigide 

L’enfant confronté à trop de “non”, à une éducation trop rigide, une vie régimentée, trop réglementaire, n’est plus invité à coopérer, à répondre aux attentes des parents. Il va au contraire entrer en résistance, d’abord sous la forme passive. Il boudera, fera la moue devant son assiette de haricots, refusera d’y toucher avant de se plier. Il se sur-adaptera dans cette atmosphère familiale tendue. Et cette attitude de blocus peut se prolonger dans la vie : bouder plutôt que de dire ce qui ne va pas, bouder pour trouver alors un réconfort dans le mal-être que génére le silence prolongé chez l’autre. C’est un lourd tribut parfois dans la vie d’un couple que ces silences légers ou plus pesants qui mettent à mal la relation. Le Docteur Tournier a lui-même reçu une éducation trop autoritaire et a lui-même usé de cette technique de la bouderie, quitte à s’isoler. Si ce n’est que sa femme, elle aussi psychothérapeute, a su désamorcer la situation en le laissant bouder dans son coin, en vaccant à ses activités, mais toujours en lui proposant d’y participer, sans jamais faire aucune réflexion. « Je ne crois pas aux choses déterminées et inchangeables, commentera par la suite le Docteur Tournier, répondant à la question d’une maman. On n’est pas condamné en permamence à vivre ce que l’on a vécu ». Si l’extrême dans le “non” a un effet cassant pour l’enfant, il a néanmoins besoin d’être arreté, de rencontrer des stops, d’avoir des limites.

L’enfant a besoin du “non” bienveillant

Lorsque l’enfant ne rencontre pas de barrières, aucun frein, peu à peu, un sentiment d’insécurité nait en lui. L’insuffisance de “non” est le berceau de l’angoisse chez l’enfant. Plus tard, aucune instance en lui ne sera là pour lui dire d’arrêter : de fumer, de boire, de travailler, de se faire échouer, de se faire du soucis, de s’énerver pour rien, de ruminer. Après 20 années d’exercice, Jean-Luc Tournier constate que la demande majeure de ses patients est aujourd’hui d’être arrêtés, que quelqu’un leur dise non, leur pose des limites. Ils cherchent une figure parentale qui émette un stop, un “non” sans méchanceté, mais avec bienveillance. Ce “non” est un gage de confiance pour l’enfant qui, contrairement à ce que certains parents peuvent penser, ne génére pas une rupture du lien affectif. Le parent ne dit pas non car il a peur de ne plus être aimé, alors qu’au contraire, ce stop de bienveillance signifiera toute l’importance que l’enfant a pour le parent. « On gagne en tendresse et en respect, pas le contraire, explique le Docteur Tournier. Pas de loi sans lien, pas de lien sans loi, mais encore faut-il que l’on puisse y arriver ». Certains parents perdent leur énergie dans des débats pour faire entendre raison à leurs enfants, pour justifier leurs refus, alors que l’enfant, à son jeune âge, n’a pas, lui, les arguments pour débattre, et tous ces discours lui passent au dessus. Nul besoin de lui vanter les mérites du sommeil sur son organisme pour le convaincre d’aller se coucher. Il suffit de lui imposer avec fermeté, tout en entendant qu’il puisse s’y opposer, râler : « Ça ne te fait pas plaisir, c’est injuste, mais c’est comme ça, tu vas au lit ! ». Mais le Docteur Tournier consent volontiers que la démarche n’est pas toujours facile face à certains enfants particulièrement toniques, aux nombreuses exigences. Il sait que l’exercice de l’autorité est parfois difficile, surtout pour une mère seule.

Enfant n’est pas chérubin

L’histoire vivante du Docteur Tournier, teintée d’humour et d’anecdotes, démontre que tous les parents sont à un moment ou à un autre confrontés à l’un de ces cas, en proie au doute, dépassés parfois entre l’influence de leur propre éducation, de leur propre enfance et de ces nouvelles responsabilités. Le parent a le droit de se tromper, de faire des erreurs, de succomber à l’emportement, de céder à un caprice, d’être trop ferme ou trop souple, l’essentiel étant de ne pas rester dans l’erreur. Et le Docteur Tournier qui n’accuse, ni ne prétend détenir la vérité, qui propose des explications, analyse des comportements, incite au partage et à la réflexion, ne croit pas que les parents doivent entretenir leur sentiment de culpabilité quand ils estiment avoir commis une erreur. Car, alors que le parent va rester à l’endroit de son erreur, l’enfant l’aura déjà dépassé. A 6 ans, l’enfant n’est pas rancunié, c’est après 10 ans que la rancune arrive, et au moment de l’adolescence, elle est par contre excessivement présente. Une chose est assurée : l’enfant n’est pas le chérubin, l’innocent que l’on veut laisser croire, et les parents le constatent au quotidien.

Stéphanie Longeras


 
 
Qui est Jean-Luc Tournier ?

Jean-Luc Tournier est psychosociologue et psychothérapeute à Besançon, certifié en Analyse Transactionnelle, titulaire du Certificat Européen de Psychothérapeute, formé en approche systémique et en approche corporelle.
Après une formation de comptable, il a travaillé comme éducateur spécialisé responsable d’une unité de vie ouverte pour des adultes en situation de handicap mental, puis auprès d’adolescents en très grandes difficultés, arrivant du secteur psychiatrique ou judiciaire. Il s’est ensuite tourné vers le secteur de la formation professionnelle pour adultes en situation de handicap et il est devenu le référent départemental en la matière. A 30 ans, il a débuté un cursus de clinicien pour devenir psychothérapeute, a obtenu un Certificat Européen de Psychothérapeute, puis s’est installé à titre de psychothérapeute et de consultant en organisations sociales, ceci depuis une quinzaine d’années.
A titre de consultant, il intervient dans la gestion des situations de crises auprès d’établissements sociaux en grandes difficultés. Il accompagne également des responsables d’établissement et autres cadres du champ social. Il supervise une vingtaine d’équipes sociales, médicales ou éducatives, en France et à l’étranger. Il donne également bon nombre de séminaires de formation portant sur des thématiques qui lui sont tout à la fois chères et bien connues : la mouvance familiale et les nouveaux modèles familiaux ; la paternité ; l’enfant témoin des violences conjugales ; grandir avec des parents différents (malades mentaux, alcooliques ou handicapés mentaux) ; les pathologies émotionnelles ; la honte et la culpabilité ; l’aliénation parentale. Il a polarisé son activité de psychothérapeute prioritairement dans l’animation de groupes de psychothérapie, le plus souvent coanimés avec son épouse, médecin et psychothérapeute. Ce qui n’exclut pas pour autant le suivi individuel. Enfin, depuis 8 ans, il a développé un champ d’expertise autour du lien à la figure paternelle, répondant en cela à ses constats cliniques qui mettent en exergue le parcours délicat des femmes et des hommes qui ont grandi sans figure paternelle fiable. Un livre, “Guérir de son père”, est en cours de publication, coécrit avec Jean-Jacques Prahin, psychiatre à Lausanne.

 

Articles se rapportant au thème

Faites suivre !